On vient d’en avoir un nouvel exemple avec la rumeur qui a circulé chez les gilets jaunes, selon laquelle l’attentat de Strasbourg était commandité par le gouvernement français pour faire diversion par rapport à leur mouvement (Source : Nouvelobs.com, 12/12/2018).
Comment expliquer ce complotisme, ou ce conspirationnisme, qui n’est d’ailleurs pas un fait nouveau, puisque déjà Edgar Morin en avait fait l’analyse dans son livre La Rumeur d’Orléans (1969) ? D’abord la circulation des fausses nouvelles (fake news) ou des « vérités alternatives », selon le mot de Donald Trump, s’explique par la méfiance vis-à-vis des médias traditionnels, censés être orientés et manipulés. C’est une guerre d’influences et d’intérêts, où tous les coups sont permis.
Mais ensuite, il est intéressant de voir quel processus psychologique sous-tend le phénomène. Le complotiste, quand il est sincère, est souvent un être paranoïaque, narcissique, manquant de ce que les spécialistes appellent la métacognition, la capacité qu’a la pensée, normalement, de s’examiner elle-même, de prendre de la hauteur par rapport au réflexe du premier instant qui porte à croire n’importe quoi par emballement affectif. À un « Que sais-je ? » salvateur, il répond par un « Je sais » péremptoire.
Enfin, il est intéressant de voir à quelle question métaphysique on est amené par l’examen du complotisme. C’est celle du sens qu’on veut à tout prix trouver dans les choses. Certains voient du sens partout, de la signification et de la direction dans tout ce qui arrive. Tel André Breton dans Nadja. Et même un grand esprit comme Jung, avec son idée de synchronicité niant le hasard, a succombé à cette tentation. Je lui dois beaucoup, mais pour ce point précis je reste sceptique, et suis plutôt de l’avis de Spinoza, selon lequel ce qu’on appelle finalité n’est rien d’autre que le désir humain mis à la base des choses. Autrement dit le sens n’est que le désir que nous en avons.
Les pauvres victimes de Strasbourg ne sont que les victimes innocentes d’un acte absurde, et au lieu de chercher du sens dans leur mort contentons-nous de les pleurer.

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