Il faut s’exercer à la voir entre certains faits qui se produisent, et souvent on ne la voit pas, alors qu’elle est pourtant patente. Ainsi j’ai regardé le week-end du 3-4 février dernier les matchs de rugby diffusés sur A2, chaîne publique. Au cours de chaque match on a proposé aux téléspectateurs de participer par téléphone à une loterie avec plusieurs tirages au sort, avec gradation ascendante dans les sommes proposées, pour gagner à chaque fois plusieurs dizaines de milliers d’euros, la dernière proposition atteignant la somme de 50 000. Et en même temps, lors du dernier match, il ya eu, dans le cadre de l’opération « Pièces jaunes », un appel aux dons au bénéfice des Hôpitaux, la moindre somme (5 euros) étant, nous a-t-on dit, bienvenue.
Comment ne pas voir dans ce contraste une contradiction foncière ? On distribue aveuglément de très grosses sommes, et à côté on fait appel à la charité publique. Bien sûr ces grosses sommes auraient pu remplacer très avantageusement les aumônes qui à la fin ont été sollicitées. À la rigueur, on aurait pu comprendre ce teasing obscène, cette surenchère aux sommes gagnées de la part de chaînes privées (qui ne s’en privent pas). Mais quid d’une chaîne publique ? À moins qu’elle ne veuille rivaliser avec les premières, pour des raisons d’audience et de sponsoring. Mais alors elle est tombée bien bas.
Notre époque est, comme celle de l’Empire romain, celle du pain et des jeux (panem et circenses). Elle parie sur l’abrutissement du peuple, réduit à l’état d’une plèbe qu’elle courtise. Et effectivement il est bien plus facile de participer à une loterie aveugle, d’espérer obtenir le gros lot sans travail pour le gagner, que de prendre la peine de consentir le moindre effort pour le mériter. Où est la morale dans cette situation ? Et à côté de cela, combien meurent de faim et de dénuement ! Mais ceux là évidemment on les livre à la charité publique : c’est bien suffisant pour eux.
À Sparte, aux citoyens libres on montrait les ilotes, pour les dégoûter de l’état de déchéance que ces esclaves asservis leur offraient. Je ne sais finalement qui des deux est le plus coupable : celui qui vit sans réfléchir le moindrement dans l’attente d’un gain lié au seul hasard, ou celui qui le lui fait miroiter, tout en se couvrant, à côté, d’un manteau caritatif, et en ne voyant pas en cela la moindre contradiction. Les deux, sans doute.
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