L’affaire des viols de Mazan, où un papy criminel a drogué et livré sa femme pendant des années à des inconnus, la regardant subir ce qu’il lui infligeait, montre chez lui une absence totale d’empathie (Source : lefigaro.fr, 09/09/2024).
C’est une qualité parmi les plus précieuses chez un être. Elle permet une projection bénéfique sur la souffrance d’un autre que soi, avec lequel on a un véritable contact, et à la place de qui on se met. Toutes caractéristiques aussi de l’amour ouvert à l’autre, et de l’agapè chrétienne.
Malheureusement certains êtres en sont dépourvus, et parmi eux on trouve certes les pires, comme le « monstre » de Mazan, mais aussi parfois des personnages inattendus, comme certains artistes. Je pense à Proust regardant Albertine endormie, donc ne lui résistant plus, « embarqué sur son sommeil » source pour lui de délices imaginaires, et allant jusqu’à la caresser lorsque son sommeil se fait profond. On en trouvera le récit sur Internet (https://marcel-proust.com/extrait/753).
Ces pages sont à la fois extrêmement belles d’un point de vue poétique, et totalement contestables d’un point de vue moral. Proust y apparaît comme totalement enfermé en lui-même, prisonnier d’un univers de purs fantasmes, dans la logique non de l’agapè, mais du rêve seul. Albertine lui apparaît livrée entre ses mains et dépouillée de son humanité, semblable à « une plante », et réalise comme dit Proust « la possibilité de l’amour ». Éveillée en effet, elle lui résiste et montre sa différence d’avec lui. Mais endormie il peut enfin la « posséder » à sa guise.
Entre la pulsion scopique du criminel de Mazan et celle de l’artiste ici, il n’y a qu’une différence de degré, et non de nature. Ce sont tous deux des prédateurs, qui veulent réifier leur proie. La dimension humaine en effet ne se manifeste que lorsqu’on est confronté à un visage vivant, seule image de transcendance comme le disait Lévinas, et aussi à un regard : les yeux sont le miroir de l’âme. C’est ce que précisément refuse l’écrivain : « Il y a des êtres dont la face prend une beauté et une majesté inaccoutumées pour peu qu’ils n’aient plus de regard. » Exit naturellement l’empathie…
Cependant ne nous leurrons pas. Cette tentation somnophile (ou nécrophile) existe sans doute en chacun en de nous. Prenons-y garde : au fond, la seule différence entre le criminel et l’homme normal est que le criminel a commis un crime.
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