On parle beaucoup actuellement de l’intelligence artificielle, en pensant que ses performances égaleront bientôt celles de l’intelligence humaine. Mais c’est à tort. Car la seconde est capable de trouver du nouveau, tandis que la première ne pourra, en réponse aux problèmes qu’on lui demandera de résoudre, que proposer dans l’immense réservoir de données qu’elle traite, des probabilités statistiques échafaudées à partir de ce qui s’est déjà passé.
Il est sûr que pour la mémoire de ce qui s’est déjà produit, l’I.A. est bien supérieure aux capacités d’un cerveau humain. Ainsi par exemple elle pourra servir la médecine, en donnant tous les renseignements possibles sur la probabilité d’occurrence d’une maladie, en regard avec la symptomatologie constatée. Mais le rôle du médecin n’est-il que de prévoir ce qui va se passer à partir de ce qui s’est déjà passé ? D’abord cela suppose une grande régularité, pour ne pas dire automaticité, dans la survenue d’une pathologie. C’est oublier que ce type de conclusion ou d’induction est parfois mis en défaut, c’est faire fi du hasard. Oublier aussi le pouvoir chaleureux, empathique, du soin lui-même, dont une machine est dépourvue. Elle se contente de répéter ce qu’on lui a appris dans l’immense éventail des cas qu’on lui a fait ingurgiter : simple perroquet stochastique.
La question du sens, de la sémantique lui est étrangère. Quand on prétend qu’elle pourra écrire des poèmes ou des romans, c’est oublier comment fonctionne le langage. Il peut être fait d’évitements volontaires de tels mots, qui portent tout le sens : les litotes par exemple. Ou de formulations à prendre à l’envers : les antiphrases. Le sens d’un texte peut être fait de ce qu’il ne contient pas. La machine ne s’occupe que des matériaux présents eux-mêmes, et ignore le brouillage volontaire que l’homme peut en faire, et qui est sa part du jeu.
Elle écrira certes à la manière des auteurs antérieurs (qu’on lui aura fait apprendre par E-learning ou par I.A. générative), mais les incertitudes et ambiguïtés inhérentes au langage lui-même lui seront étrangères. Et quant à produire quelque chose de nouveau, elle ne le pourra pas. Tout simplement parce qu’elle regarde vers le passé, alors que quiconque écrit regarde vers ce qui va advenir, un effet de sens surgissant, toujours possible et jamais prévisible. Mallarmé a bien raison : « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. »
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