J’ai regardé avec beaucoup d’intérêt le film Alexeï Navalny, l’ennemi de Poutine, qui est passée sur Arte dans la soirée du 12 mars dernier. Je m’attendais à une émission hagiographique, glorifiant un martyr idéalisé. Et j’ai été surpris d’apprendre qu’il a débuté sa carrière publique par la défense d’un nationalisme vigoureux, allant jusqu’à la xénophobie assortie à certains moments de racisme. En outre il a ensuite, à mesure que ses paroles avaient de l’écho dans la société, fait preuve de violence et proféré des insultes à l’égard de ceux qui ne le soutenaient pas assez.
On pourrait croire que ce portrait était propre à ternir son image. Mais cela ne fut pas le cas pour moi. J’ai reconnu là une complexité bien humaine, qui n’a pas empêché une merveilleuse évolution finale, et pleine de courage : son retour volontaire en Russie après son empoisonnement, où il a assumé pleinement la mort qui l’attendait, a en effet quelque chose de christique.
Ce rapprochement ne doit pas étonner. Dans la ligne de vie de Jésus lui-même ne peut-on voir une identique complexité ? La violence l’a habité maintes fois, par exemple lorsqu’il chasse les marchands du temple, avec le zèle qui convient aux fanatiques (les défenseurs du temple), et qui permet de le rapprocher des zélotes, partisans de la lutte armée face aux Romains. Par exemple aussi avec ses discours exclusivistes (« Qui n’est pas avec moi est contre moi »). Ou avec ses imprécations contre les « scribes et pharisiens hypocrites », bien proches des insultes xénophobes, etc. Mais son évolution finale vers le sacrifice accepté est la belle image et seule qui nous en reste, comme pour Navalny, et elle a traversé les siècles.
Pour qui pense que les péricopes évangéliques sont des rédactions de seconde main, cette complexité renvoie à des strates narratives hétérogènes, à une polyphonie manquant d’unité. Et le doute peut bien s’installer sur la crédibilité et l’existence réelle d’un personnage aussi polymorphe.
Mais l’exemple de Navalny prouve au contraire qu’une vie humaine peut considérablement évoluer, et ce vers le meilleur. Alors il n’y a pas de raison que celle de Jésus, un homme comme nous, n’ait pas évolué non plus. C’est un argument en faveur de son existence historique, et de la plausibilité de son message. Simplement il faut se résoudre à ne plus voir en lui le Fils de Dieu, et la deuxième personne de la Trinité.
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