Ce mot est devenu péjoratif aujourd’hui. Il sert de repoussoir aux démagogues, qui opposent ceux qui sont injustement privilégiés au « bon peuple » qui s’en sent méprisé et à qui il faut rendre justice en lui donnant enfin la parole. Pourtant je trouve qu’il y a là une fondamentale ambiguïté, qui empoisonne souvent le régime démocratique.
Ce n’est pas la différence seule de position sociale entre les êtres qui doit scandaliser, c’est simplement le cas où cette différence est usurpée par certains, et où est déniée à tous la possibilité d’y accéder. Pour le reste, les différences peuvent exister naturellement, chacun œuvrant selon ses capacités pour concourir au bien commun, comme d’ailleurs le stipule l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme.
Mais la vision des différences est tellement insupportable à certains, qu’ils n’ont de cesse de vouloir les abolir toutes, en nivelant et égalisant, comme sur un lit de Procuste, toutes les conditions. Se déchaîne alors, sur base de ressentiment, la haine démocratique, l’invidia democratica. Et paradoxalement cette haine, comme l’a bien vu Tocqueville, augmente à proportion même que l’inégalité diminue. Quand cette dernière est très grande, elle choque moins que quand elle régresse substantiellement.
L’élitisme, en soi, ne recèle rien qui puisse choquer, quand il est le résultat du travail et du mérite. Un ancien ministre de l’Éducation parlait bien naguère de « l’élitisme républicain » ! Mais la perversion ici consiste à récuser à certains la valeur qu’ils ont acquise et qui les différencie des autres. Par exemple, on sait que dans nos collèges celui qui réussit est stigmatisé par ses condisciples, sous le nom infâmant d’« intello ». Si l’on est soi-même paresseux, on postule que tous doivent l’être.
Ou alors on s’abrite derrière les poids des déterminismes sociaux. Je ne suis pour rien dans mon sort, je suis le résultat des circonstances qui ont pesé sur moi. Mais pourquoi alors ceux qui ont subi les mêmes circonstances ont-ils pu réagir différemment et améliorer leur condition ? L’image qu’on se fait de l’homme est celle d’un être mou et influençable, dépourvu de toute liberté.
Finalement la propagande populiste aboutit à voir au mieux du hasard ou au pire du complot dans les différences, et la nécessité de l’assistanat chez les moins lotis. Dans les deux cas, la vision de l’homme qui s’en dégage n’est pas très reluisante.
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