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u dernier Festival du mot, qui s’est tenu à La Charité-sur-Loire du 30 mai au 3 juin 2012, sous la présidence d’Alain Rey, le jury a choisi comme mot de l’année le terme anglais twitter, qui signifie : gazouiller.
C’est, nous dit le site de ce Festival, « un nouveau modèle de communication qui favorise la brièveté (140 signes maximum), la rapidité (on dit peu, mais on dit vite), et le partage ». Le site ajoute, avec euphémisme et mansuétude : « Si cette technologie ne favorise pas forcément la subtilité ou la nuance, elle valorise l’émetteur qui a parfois plus d’importance que le message qu’il délivre ! En ‘gazouillant’ (en anglais, les ‘tweets’ sont des gazouillis…), je peux chuchoter et murmurer pour rappeler que j’existe et que je peux même produire du ‘buzz’… »
La décision de choisir ce mot est un signe de l’état actuel des esprits. Peu importe ce qu’on a à dire, l’essentiel est de dire quelque chose, et de le transmettre aussitôt par Internet. Déjà Mac Luhan avait dit, parlant des modes modernes de communication : « Le message, c’est le medium. » En fait, cet envoi bref d’informations sans conséquence aucune (je vous dis simplement ce que je suis en train de faire en ce moment précis, etc.) reflète l’insignifiance dans laquelle nous baignons. [v. Conversation]
Cette « parlerie », pour reprendre le mot de Heidegger dans L’Être et le Temps, est de l’émission verbale automatique : on parle pour peupler le vide, sans réfléchir, comme un tireur qui userait de son arme au hasard, à l’aveugle, sans viser. La scolastique appelait cela « souffle de la voix » (flatus vocis).
On connaît la superficialité du Buzz : ce comportement moutonnier confond notoriété et substance. Aujourd’hui, selon le mot d’Andy Warhol, chacun peut avoir son quart d’heure de célébrité. Mais c’est vraiment à peu de frais, et on oublie que quand tout peut arriver, rien n’est intéressant.
Alain Rey, à France Inter (27 mai, 13 H 30), a évoqué comme tweets les formes brèves du haïku. Il a même fait appel, comme exemple comparable, à la phrase de Descartes : « Je pense donc je suis. »
A-t-il fait preuve d’humour ? Dans le cas contraire, c’est se moquer du monde, et confondre forme et contenu, car dans ces deux exemples travail et méditation, souvent très longs, précèdent l’expression, même si cette dernière est très laconique. Aujourd’hui au contraire on ne pense pas, donc on est.[1]
Fuyons ce monde dérisoire, où l’on n’est pas grand-chose, ou moins que rien, ou rien du tout...
Article paru dans Golias Hebdo, 14 juin 2012
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