C’est un bel usage, qui permet de socialiser les individus parlants que nous sommes. Mais encore pour se parler faut-il avoir quelque chose à se dire. Rassurons-nous : ce sera toujours le cas avec les progrès de la technique. L’application de conversation Messenger de Facebook va désormais nous suggérer des sujets de conversation avec nos amis en fouillant leur timeline, leur « fil d’actualité », le journal de leurs activités tenu heure par heure, où seront puisées les occasions d’échanges. Vive donc ce progrès high tech mis au point dans une intention éminemment charitable, « pour ces moments où nous ne savons plus quoi dire » (Source : 20minutes.fr, 18/10/2016) !
J’admire la sollicitude de tous ces créateurs de dispositifs qui nous viennent en aide quand nous sommes incapables de nous prendre en main nous-mêmes. Manquons-nous d’idées, on nous en suggère. De sujets pour parler, on nous en propose. De vie même, on va nous « animer », comme dans ces lieux de vacances où le touriste a si peur de s’ennuyer qu’il s’enquiert, aussitôt qu’arrivé, des « animations » disponibles auprès du Syndicat d’initiative de l’endroit.
Tout concourt maintenant à pallier nos manques. Au lieu de les déplorer et de nous inviter à y remédier nous-mêmes, on nous offre des recettes toutes faites pour nous en délivrer. On ne cherche pas à penser, mais à panser. Assistés permanents, nous serons enfin heureux et délivrés de tout souci.
Je gage que ces conversations seront faites de simple bavardage, de cette « parlerie » dont parle Heidegger dans L’Être et le Temps. L’homme moderne a l’horreur du vide qu’il trouve en lui-même, et ne cesse de s’en détourner pour se fuir lui-même. À cela sert le dernier gadget technique à la mode. La prothèse protège.
Facebook croit qu’on doit obligatoirement parler avec ses « amis », éviter absolument le silence. Mais il y a là un double abus de mots, et sur le langage et sur l’amitié. Car le vrai langage doit venir du cœur, non être initié par un robot-espion. Et un vrai ami est celui avec lequel on peut partager le silence, au côté duquel on peut rester sans rien dire du tout, sans qu’il en soit vexé en aucune façon.
Article paru dans Golias Hebdo, 27 octobre 2016
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