Voici un extrait de ma Source intérieure, qui bouscule sans doute quelques idées reçues :
Le début de la Genèse, que l’on considère ordinairement comme totalement positif, par l’émergence progressive qu’on y voit d’un chaos à l’ordre, comporte, si on sait bien le lire, des traces de catastrophe. Dieu crée la lumière, la décrète bonne, et s’achève le Jour un, ou le jour de l’Unité (1/5). Le nombre est cardinal, absolu, dans le texte hébreu (yom erad) : la Septante a hèmera mia, la Vulgate, dies unus. S’il s’était agi de « premier jour », on aurait eu hèmera prôtè, ou dies primus. Ce moment-là est magique, car rien n’est encore extérieurement divisé, la séparation inaugurale lumière/ténèbres n’est qu’intérieure : cette lumière initiale, en latin lux, est une disposition secrète à comprendre, située au plus intime de soi (le soleil que voient les yeux, source de la lumière naturelle, en latin lumen, n’est créé que bien après : 1/16). Ce moment-là a le prestige de tous les Débuts. Puis le « second » jour, et là l’ordinal est bien employé, est créé le ciel-plafond, mais alors Dieu, dans le texte initial hébreu, ne s’autofélicite pas : il ne dit pas que l’œuvre est bonne. Il ne reprend son autofélicitation qu’au troisième jour. Il faut bien lire le texte, encore qu’il soit très rare qu’il soit correctement traduit.
Tout se passe comme si l’on avait secrètement senti qu’il est dommage que l’Unité initiale ait été rompue. Quand quelque chose a commencé, la promesse du début est détruite. Il y a un principe fatal, une malédiction, dans tout déroulement, dans tout accomplissement, et on peut menacer quelqu’un de l’achèvement de ses meilleurs souhaits. – Changeons donc nos cartes de vœux : « Je vous souhaite de ne pas obtenir cette année tout ce que vous désirez… » Pourquoi ne pas essayer ? Nous verrions bien…
J’ai dit qu’il fallait toujours scruter le Langage. Par exemple « achever » signifie « parfaire » et aussi « tuer ». Et que dit-on quand on dit de quelqu’un qu’il est « fini » ? Le poète pressent cela, dont le « blasphème » n’est peut-être qu’une lecture plus fine du texte, ou de certaines de ses pistes :
Si profond fut votre malaise
Que votre souffle sur la glaise
Fut un soupir de désespoir…
(Valéry, « Ébauche d'un serpent », dans Charmes)
Manichéisme, gnose, catharisme… Une hérésie en grec signifie tout simplement un choix : hairesis. Un dogme donc n’est qu’une hérésie qui a réussi, et ce qu’on entend par hérésie, au sens péjoratif, est à l’inverse un choix qui n’a pas été choisi. « Vae victis ! », Malheur aux vaincus ! dit alors le Dogme aux hérésies, ses sœurs d’hier…
On a donc choisi ici chez nous l’idée d’un développement positif, et sûrement d’un point de vue social c’était nécessaire, pour encourager les gens à agir, à créer. Une version moderne même de cette position pourrait être ce qu’on appelle aujourd’hui la théologie du Process. Mais l’idée de la Source intérieure, l’aspiration non pas à un état nouveau à atteindre dans le futur, mais à une complétude ou à une perfection initiale à rétablir dès maintenant, reste tout de même dans les âmes, comme objet de fascination. (pp.115-116 – Chapitre 9 : « Les deux mondes »)
→ Voir aussi : Création, Théologie buissonnière : Création, Création (version radio), Une voix nommée Jésus : La création comme catastrophe, 1 et 2, ainsi que mon texte : La Gnose (paragraphe : « Traces gnostiques dans l'Ancien Testament »).
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