" (Textes libres)
Dis des mots, pour voir. Lesquels ? On verra, on verra bien. Essaie — pour voir... Tu vois, maintenant tu parles...
— C'est facile.
— Si facile ? Tu parles ! À voir...
— Tu vois, tu parles. Mais qu'est-ce que tu dis là ? Quel besoin de me le dire ? Évidemment je parle, je le vois bien. C'est bien naturel. À portée de tous. La belle affaire...
— Vas-y voir... Les mots commencent de scintiller en toi. Suis-les. Ils t'ouvriront les yeux.
… Tu vois, tu parles... Tu vois, et tu parles. Quand tu parles, tu vois. Si tu vois, tu parles. Tu vois, si tu parles. C’est à la fois identique et sans fin. Tu vois, donc tu parles. Pour voir, tu parles. Vois, et tu parleras. Etc.
Ferme d'abord les yeux. Regarde en toi ces mots qui t'apprennent à voir. Puis ouvre tes paupières. Elles seront déliées comme ta langue.
Car si tu ne parles pas, est-ce que vraiment tu vois ? Ne reste pas dans l'obscur des yeux : ils sont aveugles. Les yeux sont infirmes sans la béquille des mots. Crois-moi. Aie confiance. Cela ira bien. Tu verras...
Parle. Vas-y.
— Je regarde et je nomme. Je suscite, j'évoque. Je suppute, j'imagine. Je dis et je me dis. Je figure. Je me figure. Les figures de mon langage sont les miennes, et je me vois dans son miroir. Figures des choses, figures des mots : mes propres visages, successifs. Langage, style, perception, portraits du monde et portraits de soi : au fond tout se tient.
— ... Tu vois maintenant : tu as parlé. Désormais tout te sera discours. Les choses toujours te seront proches, à ta vue. Et tu les verras. Enfin tu ne seras plus aveugle. Je te l'avais bien dit. Tu verras. Il ne fallait pas désespérer. Le résultat est là. Tu as suivi mes conseils. Tu vois bien : tu as éclairé la nuit des yeux. Il le faut. C'est la règle. Maintenant tu vois comme il faut. Tu vois bien. Maintenant tu vois...
Il faut dire des mots pour voir.
© Michel Théron - 2010
→ Voir aussi : Transfiguration, Thaborisme, et Iconoclasme.