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31 mars 2015 2 31 /03 /mars /2015 00:00
Le christianisme en questions

Le christianisme en questions

Question : Le Credo paulinien est-il conforme au texte juif essentiel dont il s’inspire ?  
 
Réponse : Non. Il s’oriente dans une tout autre direction, plus païenne que juive.

 

À la question 005, on a vu qu’on pouvait voir le Credo paulinien : « Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures », comme inspiré du passage du passage d’Isaïe dit du « Serviteur souffrant » : « Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. » Formellement, la formulation est la même. – Mais quant au sens, il est tout autre.

 

Paul y a vu le destin du Messie mort pour racheter les péchés des hommes. Pour un juif, ce passage ne concerne en aucune façon le Messie, qui viendra non pas écrasé et humilié, mais en triomphe pour relever son peuple. Le « Serviteur souffrant » n’est qu’une allégorie des épreuves actuelles que subit Israël. Le sens que donne Paul au chapitre 53 du livre d’Isaïe a donc été complètement changé.

 

Sur le chemin de Damas, d’après des Actes des Apôtres (9/ 3-19 ; 22/6-11), Paul a eu une vision, celle de Jésus ressuscité, qu’il a confondue avec le Messie : Khristos en grec, d’où « Christ », calquant l’hébreu Messiah, celui qui a reçu l’onction divine. Dès lors il a élaboré la construction selon laquelle la mort de Jésus-Christ aurait une valeur rédemptrice des péchés du genre humain.

 

Tout cela est évidemment totalement étranger à l’esprit juif, pour qui la crucifixion même, loin d’être rédemptrice, est déshonorante : « Maudit soit quiconque est pendu au bois. » (Deutéronome, 21/23) Parole que Paul connaît, puisqu’il la cite en opérant le grand renversement dont il est l’initiateur, et qui va constituer pour des siècles le fondement du christianisme majoritaire : « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en devenant lui-même un objet de malédiction à notre place, puisqu’il est écrit : ‘Maudit quiconque est pendu au bois’. » (Galates 3/13) C’est ce qu’on appelle en théologie, en termes savants, l’« expiation vicaire », ou expiation de substitution. On la retrouvera dans d’autres épîtres pastorales, par exemple en 1 Pierre 2/24, passage qui cite lui aussi Isaïe 53 : « Lui qui, dans son propre corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont les meurtrissures vous ont guéri. » Et jusque dans le Credo latin : Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio-Pilato – avec le double sens de pro nobis, c’est-à-dire à la fois « Crucifié à notre place », et « Crucifié pour nous » (pour nous venir en aide).

 

Pourquoi cette construction a-t-elle triomphé ? D’abord la mort de Jésus a dû être un énorme séisme pour ceux qui l’avaient connu et côtoyé. Or on n’admet pas facilement qu’une mort n’ait servi à rien, et de rester sur une très décourageante impression de gaspillage, d’absurde. Se produit alors un phénomène d’euphémisation, très compréhensible : on affirme que cette mort, outre qu’elle n’est pas le dernier mot puisqu’elle sera suivie d’une résurrection, a en elle-même été rédemptrice. Elle aura servi à quelque chose, en l’occurrence à nous racheter de nos fautes, de notre culpabilité. C’est le thème de la felix culpa : Felix culpa, quae talem et tantum meruit habere Redemptorem – « Bienheureuse faute, qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur ». Bref, si la Loi (juive) fabrique du péché parce que les hommes lui désobéissent, la grâce (nouvelle) qui leur est donnée via le sacrifice christique est là pour l’expier : « Or, la loi est intervenue pour que la faute soit amplifiée ; mais là où le péché s’est amplifié, la grâce a surabondé. » (Romains 5/20)

 

Une seconde influence a pu jouer pour l’élaboration de la construction paulinienne : celle des cultes à mystères païens, très répandus à cette époque, où un dieu meurt et ressuscite pour le salut de ses fidèles. Pensez au culte d’Osiris, de Mithra. Ainsi a-t-on découvert sur le mur du  Mithraeum de Santa Prisca à Rome l’inscription suivante : Et nos servasti eternali sanguine fuso« Et tu nous as sauvés en répandant ton sang éternel ». N’est-ce pas ce que dit l’Épitre aux Hébreux (9/12) : « C’est avec son propre sang que Christ nous a obtenu une rédemption éternelle » ? On pense à cette constante valorisation en christianisme, surtout dans sa modalité romaine, du sang rédempteur, avec le dolorisme corrélatif. Voyez ce que seront, plus tard, dans l’église catholique, les litanies du « Précieux Sang » de Jésus. L’eucharistie chrétienne elle-même, où il s’agit de boire du sang, est impensable en milieu juif, qui en prohibe totalement l’ingestion.

 

La « parole de la croix » paulinienne (1 Corinthiens 1/18), qu’il s’agisse de la croix qui parle ou plus vraisemblablement de la prédication à son propos, imprègne tout notre langage. Ainsi quand nous voulons nous porter chance nous disons : « Toucher du bois », « Croiser les doigts ». Et même l’exclamation « Bon sang ! » renvoie à ce sang salvateur répandu pour nous. Mais on peut considérer que ce thème, comme bien d’autres, comporte dans son essence beaucoup d’aspects purement païens, et ainsi tourne le dos au judaïsme.

 

A suivre...

 

Voir aussi :

Nota :

 

Pour approfondir les notions fondamentales du christianisme, on peut se reporter aussi aux 80 émissions de radio que j'ai faites à FM+ Montpellier, à partir de mon ouvrage en deux tomes, Théologie buissonnière. Chaque émission (50 minutes environ) est consacrée à une entrée du livre, correspondant chacune à une notion.

 

Pour cela, taper : Théologie buissonnière, dans le champ Recherche (colonne de droite du blog), et choisir la notion qui intéresse.

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26 mars 2015 4 26 /03 /mars /2015 01:01

Jésus a dit : "Heureux celui qui était déjà avant qu’il n’existe."

(Evangile selon Thomas, logion 19)

 

Imaginons en automne une pièce d’eau à la surface de laquelle flottent des feuilles mortes, à la merci du premier vent. Tout bouge, rien n’est stable. Mais maintenant accommodons non plus sur ce premier plan changeant, mais sur le fond. Alors on voit les arbres immuables dont viennent ces feuilles flottantes, un monde profond, plus vrai que la surface parce qu’immuable : il participe de l’essence (ousia), et non de l’apparence (phainomenon). Ce changement de mise au point, que l’on peut faire avec notre esprit et nos yeux, que le photographe aussi peut faire avec l’objectif de son appareil, est exactement la metanoïa (changement mental) ou conversion spirituelle des gnostiques.

La surface

La surface

Le fond

Le fond

Ce texte est extrait du chapitre "La création comme catastrophe" de mon ouvrage consacré à l'Evangile selon Thomas (page 239) :

 

Couverture recto, résolution Internet jpg

Cliquer sur l'image

 

Voir aussi :

 

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Ainsi que :

 

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2 mars 2015 1 02 /03 /mars /2015 01:00
Le christianisme en questions

Le christianisme en questions

Question : Où peut-on trouver le premier Credo chrétien ?
 
Réponse : Chez Paul, qui l’a emprunté à des textes de la Bible juive.

 

Quand on ouvre une édition ce qu’on appelle en christianisme le Nouveau Testament, on trouve d’abord les quatre évangiles reconnus canoniques, puis, entre autres textes, des lettres dont beaucoup sont de Paul. Mais il ne faut pas se fier à cette présentation. Elle n’est pas du tout chronologique, les lettres de Paul par exemple ayant été écrites avant les textes évangéliques. Les sépare quasiment une génération : les lettres ont été écrites aux alentours de l’an 50, et les évangiles, à peu près entre 70 et 100. Donc celles-là ne commentent pas ceux-ci, comme on pourrait le croire en les voyant figurer après eux, puisque tout simplement elles leur sont antérieures. C’est donc à elles qu’il faut principalement se reporter pour avoir une idée de ce que fut le tout premier christianisme.

 

Voici donc quel pourrait être le premier Credo chrétien (on parle aussi à partir du grec de kérygme, qui veut dire annonce, proclamation) : « Je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais aussi reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ;  il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. » (1 Corinthiens 15/3-4)

 

Paul parle d’une transmission (paradosis) de quelque chose qu’il a reçu en dépôt (paralepsis). Et que transmet-il, qu’a-t-il reçu ? Des textes antérieurs, qu’il a lus. D’abord, pour « Christ est mort pour nos péchés », le texte lu et recueilli ici est sans aucun doute le célèbre passage d’Isaïe, dit du « Serviteur souffrant », dont voici un extrait : « Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. » (53/5). Pour : « Il est ressuscité » un texte-matrice peut être : « Car tu n’abandonneras pas mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton bien-aimé voie le gouffre » (Psaume 16/10) Et pour « le troisième jour » : « J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes. Voici : je te guérirai ; le troisième jour, tu monteras à la maison de l’Éternel. » (2 Rois 20/5) – « Il nous rendra la vie dans deux jours ; le troisième jour, il nous relèvera, et nous vivrons devant lui. » (Osée 6/2) – avec une allusion implicite aussi peut-être au livre de Jonas : « Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits. » (1/17)

 

On le voit : Paul se situe simplement dans une tradition-transmission. C’est le lecteur en lui qui parle, ce sont des textes antérieurs qui balisent sa nouvelle foi et son credo, c’est sa fréquentation avec eux qui les garantit. L’expression « Selon les Écritures » (gr. kata tas Graphas, lat. secundum Scripturas) se retrouvera à l’identique dans le Credo (version de Nicée), pour authentifier la Résurrection.

 

Certes, ce rattachement systématique de la nouvelle foi (chrétienne) à l’ancienne (juive) a parfois été contesté. Ainsi l’expression susdite « ce que j’avais aussi reçu », qui rattache explicitement le christianisme au judaïsme, est absente dans certaines leçons des manuscrits, par exemple chez Marcion, dont on sait qu’il a voulu séparer radicalement la première religion de la seconde, au bénéfice exclusif de cette dernière. Néanmoins, l’Église instituée a toujours refusé de les séparer, pour deux raisons sans doute. D’abord il eût fallu expurger chaque page du Nouveau Testament, où les allusions à la Bible juive sont constantes. Et ensuite, pour qu’une religion eût droit de cité dans l’Empire romain, pour qu’elle devînt religion autorisée (religio licita), elle devait donner des preuves de son ancienneté : le judaïsme était dans ce cas, et non le christianisme naissant. Ce dernier a donc pu, ne serait-ce que par diplomatie, s’« abriter » sous l’aile du premier.

 

A suivre

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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