Réponse : C’est la pensée de Paul, qui l’a infléchi dans un sens tout nouveau, ce qui n’est pas sans créer en son sein une certaine tension
Paul, juif d’origine, a infléchi le judaïsme en l’ouvrant aux non-juifs, aux « païens », qu’on appelle à partir de là les « pagano-chrétiens », pour faire la différence avec les « judéo-chrétiens » ou « chrétiens judaïsants », dont il a été question à la Question 1, et qui se considéraient encore comme des juifs, ainsi qu’on le voit dans les Actes des Apôtres.
Sur le plan pratique, il n’était plus nécessaire pour Paul, si l’on voulait embrasser la nouvelle religion, de se faire circoncire. En cela tombait l’obligation juive : « Vous vous circoncirez comme signe d’alliance entre vous et moi. » (Genèse 17/11) Paul a pris la circoncision non plus littéralement, mais symboliquement : « En lui aussi (i.e. : en Christ) vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’est pas faite par la main des hommes ; c’est-à-dire le dépouillement du corps de la chair ; la circoncision du Christ. » (Colossiens 2/11) On connaît d’ailleurs la fameuse formule paulinienne, qui fait justice de tout littéralisme : « La lettre tue, mais l’Esprit fait vivre. » (2 Corinthiens 3/6) Par la « lettre » Paul entend la façon juive traditionnelle de vivre la Thora. Lui se situe du côté de l’« esprit », pour bien se démarquer de cette attitude.
En conséquence, c’est la loi tout entière qui s’écroule, au bénéfice de la seule foi dans l’évangile que Paul annonce : « Car nous comptons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » (Romains 3/28) Et de la même façon c’est au bénéfice de la seule grâce : « Le péché ne dominera pas sur vous, car vous n’êtes pas sous la loi, mais sous la grâce. » (Romains 6/14) On sait l’importance que bien plus tard la Réforme donnera au salut par la seule foi (sola fide), et par la seule grâce (sola gratia). En cela elle est fondamentalement paulinienne.
Cependant le christianisme n’a pas rompu définitivement avec l’orthopraxie juive, puisqu’on lit par exemple dans l’Épître de Jacques : « La foi sans les œuvres est morte. » (2/26) Beaucoup de juifs actuels, dont Chouraqui, mettent cette épître très haut, on comprend bien pourquoi : La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ? Mais Luther, on comprend bien aussi pourquoi, aurait bien voulu qu’on retirât du Canon ce qui pour lui était une « épître de paille ». Si donc le pôle juif du christianisme se situe du côté de Jacques, et aussi de Pierre (héritage « pétrinien »), le but de la Réforme a été, pourrait-on dire, de déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Et pourtant l’Église instituée unit constamment les deux apôtres, allant jusqu’à mettre leur fête un même jour (le 29 juin) dans son calendrier. Aussi le christianisme est-il comme Janus, bifrons, à double visage. À la différence du judaïsme et de l’islam, où l’orthopraxie est de règle, le christianisme unit à la fois, dans une tension dialectique très forte, l’affirmation de la nécessité de l’action, et sa récusation. C’est cette complexité qui fait son originalité, et qui justifiera, par la suite, des querelles sans nombre : celle des jésuites et des jansénistes, par exemple, au 17e siècle. Mais complexité ne veut pas dire contradiction : ou alors, c’est l’être humain tout entier qui est contradictoire.
A suivre...
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