En-dehors de ce que nous disent de Jésus ceux qui ont cru en lui, et qui viennent de témoins non oculaires, mais comme susdit de « témoins de conviction », nous avons peu de témoignages non chrétiens sur Jésus. Il y a d’abord un passage des Annales de Tacite (XV, 44), où on lit que Néron a accusé les chrétiens d’avoir mis le feu à Rome pendant l’été de l’année 64 ap. J.-C. De ces derniers Tacite parle de façon peu amène : « Néron se trouva des coupables et il infligea des châtiments raffinés à des gens que leurs scandales rendaient odieux et que la masse appelait Chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que le procureur Pontius Pilatus avait fait supplicier sous le règne de Tibère. Contenue pour un temps, cette superstition pernicieuse perçait à nouveau, non seulement en Judée, où ce mal avait pris naissance, mais à Rome même où tout ce qu’il y a partout d’affreux et de honteux afflue et trouve des gens pour l’accueillir. »
Cependant certains disent que l’historien latin aurait tout simplement confondu avec le Christ un certain Chrestos, agitateur juif habile et remuant, qui avait rassemblé autour de lui une clique de partisans et qui les exhortait à jeter périodiquement le trouble dans la capitale. Il faudrait alors se rapporter au texte bien connu de Suétone dans Vie de Claude, XXV, 11 : « Les Juifs provoquant continuellement des troubles à l’instigation de Chrestos, il les chassa de Rome. » Il est vrai qu’avec l’iotacisme, Chrestos se prononce aujourd’hui exactement comme Christos. Mais l’événement dont parle Suétone a eu lieu en 42 ap. J-C., donc ce Chrestos, juif révolutionnaire, était vivant après la mort de Jésus !
Dans le monde romain, nous reste aussi une lettre de Pline à Trajan (Lettre 96), où Pline demande à l’Empereur comment il faut traiter les chrétiens, en disant qu’ils rendent un culte au Maître quasi deo, « comme à un dieu ». Mais il n’est question là que des disciples, non du Maître lui-même.
Enfin reste le témoignage de Flavius Josèphe, l'historiographe juif de la fin du 1er siècle, le fameux testimonium flavianum. Il écrit dans ses Antiquités juives (19/343-350) : « À cette époque survient Jésus, un homme sage, car c’était un faiseur d’œuvres prodigieuses, maître des gens qui reçoivent les vérités avec plaisir ; il se gagna beaucoup de Juifs et beaucoup qui étaient d’origine grecque. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l’eut condamné à la croix, ceux qui l’avaient aimé au début ne cessèrent pas de le faire. Et aujourd’hui encore, le clan des chrétiens – nommés ainsi à cause de lui – n’a pas disparu. »
Cependant l’authenticité de ce passage a été bien souvent discutée : Voltaire déjà la niait catégoriquement, dans son Dictionnaire philosophique, à la rubrique « Christianisme ». Certains disent qu’il s’agit d’une interpolation totale faite par une main chrétienne, d’autres parlent d’interpolation partielle, mais dans ce dernier cas peu contestent l’expression d’« homme sage », qu’assurément le christianisme dominant, paulinien d’origine et déjà alors en développement, ne pouvait utiliser. – Pour moi, au contraire, cette idée d’« homme sage » me conviendrait très bien !
Au total, rares sont les renseignements sur Jésus extérieurs au christianisme lui-même. Certains ont même été jusqu’à nier son existence historique. Ce fut le cas de Prosper Alfaric, à qui cette négation valut l’excommunication. Voir : Mythistes.
Quand on emploie chez nous l’expression : « parole d’évangile », on veut attester l’irréfutabilité de ce qu’on dit. Cependant pour comprendre concrètement que le rédacteur évangélique parle, non comme un témoin oculaire, mais bel et bien comme un romancier, il suffit de lire l’épisode de l’agonie de Jésus au Mont des Oliviers. On nous dit que des grumeaux de sang coulent de sa tête jusqu’au sol, et dans certaines versions, mais pas dans toutes, qu’un ange descend du ciel pour le fortifier (Luc 22/43-44). Tout cela, comment le sait-on ? Les seuls habilités à le dire seraient les apôtres. Mais à ce moment-là ils dorment ! La vérité est qu’on a affaire à une scène inventée, et que le narrateur procède avec une totale liberté en écrivant ce qui lui convient.
Maintenant, a-t-on brodé sur de l’historique, ou a-t-on créé en la personne de Jésus un mythe de toutes pièces ? Certains disent qu’il faut considérer dans cette occasion le cas de tant de martyrs chrétiens qui ont versé leur sang pour attester leur foi : on ne meurt pas, prétendent-ils, pour de la fiction. Mais, outre que mourir pour une idée ne signifie pas qu’elle soit bonne, personnellement je pense que cette question d’historicité n’a pas grand sens. Borges affirmait : « La vérité historique n’est pas dans ce qui s’est passé, mais dans ce que nous pensons qui s’est passé. » Et Alain disait fort justement : « Ce qui importe n’est pas ce qui est vrai, mais comment c’est vrai. »
Qu’Homère ait existé ou non, la beauté marine de l’Odyssée n’en souffre pas. Même chose pour Shakespeare, et pour tant d’autres ! L’important ce sont les œuvres, non les personnes. Valéry disait même qu’on pouvait enseigner la littérature, pur fait de langage, sans qu’aucun nom d’auteur ne fût prononcé. De même, de Jésus nous restent des voix, des paroles, des enseignements. Ce sont eux qui comptent, et c’est à chacun de choisir ce qui lui convient, en fonction de ses propres attentes et de son caractère. « Qui dites-vous que je suis ? » (Matthieu 16/15 ; Marc 8/29 ; Luc 9/20) Les réponses sont fort diverses, et tel nous le dirons, tel, pour nous, il sera.
A suivre...
***
Nota :
Pour approfondir les notions fondamentales du christianisme, on peut se reporter aussi aux 80 émissions de radio que j'ai faites à FM+ Montpellier, à partir de mon ouvrage en deux tomes, Théologie buissonnière. Chaque émission (50 minutes environ) est consacrée à une entrée du livre, correspondant chacune à une notion. Elle est illustrée de musiques spécialement choisies pour être appropriées au thème.
Pour cela, taper : Théologie buissonnière, dans le champ Recherche (colonne de droite du blog), et choisir la notion qui intéresse.
commenter cet article …