Elle est une caractéristique essentielle de la sagesse, comme le dit l’adage Est modus in rebus – Il y a une mesure en toute chose. Elle implique raison et proportion entre les moyens mis en œuvre dans l’action, et son résultat. S’il n’y a pas cette proportion, on peut s’interroger sur le bien-fondé de l’action.
Dans Les Justes, Camus évoque la possibilité pour un révolutionnaire de jeter une bombe sur la calèche du tyran qui opprime son pays, auquel par son acte il donnera la liberté. Mais au dernier moment il voit que des enfants du tyran sont près de lui. Que faire alors ? On peut en conclure qu’il ne faut pas jeter la bombe, car ce serait sacrifier des innocents : tous les moyens ne sont pas bons.
Ce que n’a pas fait le gouvernement israélien, par exemple dans son exécution du chef du Hezbollah, qui a causé la mort de plusieurs centaines de civils innocents. Quant à ce qu’il a fait à Gaza, je pense à la phrase de Tacite critiquant l’impérialisme romain : Ce qu’ils transforment en désert, ils l’appellent paix – Ubi solitudinem faciunt pacem appellant.
Je sais bien qu’on répondra que le Hamas et le Hezbollah se servent de civils comme de boucliers humains, et qu’il faut lutter contre eux sur leur terrain, en imitant leur manque de scrupules. La fin justifie les moyens. C’était la réponse de Sartre à Camus : tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces, et il faut accepter d’avoir les mains sales.
Mais enfin ici la disproportion est majeure. Elle va même bien au-delà de la traditionnelle loi du talion hébraïque (œil pour œil, dent pour dent), qui instaurait au moins une mesure dans la riposte à l’agression subie. Et surtout si on suit cette voie, la tentation existe de ne faire crédit qu’à la force. Ainsi procédait Staline, à qui on objectait l’autorité morale du pape : « Le pape ? Combien de divisions ? »
Quand règne la force, c’est la fin du règne de la parole, qui procède par discussion, négociation, compromis. C’est un grand signe de civilisation quand la parole (réfléchie) remplace l’acte (émotionnel). Et quand l’inverse se produit, c’est signe de régression à l’instinct pur, très vite à la barbarie dont pourtant on pensait s’être arraché.
Au reste, la force ne peut jamais faire disparaître une idéologie. Elle perdure toujours dans les esprits et les cœurs, surtout quand ceux qui la nourrissent se voient comme des martyrs s’ils viennent à périr pour elle.
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