Les Pères de l’Église nous rapportent, en les mettant dans la bouche de Jésus, des paroles qui ne figurent pas dans les quatre évangiles retenus comme canoniques (selon Matthieu, Marc, Luc et Jean). Ces paroles, qu’il n’y a aucune raison de supposer avoir été forgées de toutes pièces par les Pères, sont appelées à partir du grec des agrapha, c’est-à-dire non écrites dans les seuls textes qui ont été retenus. Elles proviennent en fait d’autres traditions orales que celles auxquelles ces derniers ont eu recours pour nous les transmettre par écrit. Il faut donc aussi supposer que d’autres évangiles ont circulé très tôt, d’abord oralement comme c’est la règle, puis ont pu être fixées par écrit dans telle ou telle communauté. N’étant pas reconnus canoniques par l’Institution, on les appelle apocryphes, du grec apokruphos, « tenu secret ». Parmi eux, l’Evangile selon Thomas est un excellent exemple.
La preuve de cette pluralité initiale est l’attitude de Paul lui-même, par exemple quand il fait des reproches aux habitants de Corinthe : « Car, si le premier venu vous prêche un autre Jésus que celui que nous avons prêché, ou si vous recevez un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou un autre évangile que celui que vous avez accueilli, vous le supportez fort bien. » (2 Corinthiens 11/4) Il y avait donc dès le milieu du premier siècle une grande « foire » aux évangiles, où chacun pouvait venir pour en quelque sorte « faire son marché ». Même reproche paulinien à l’adresse des Galates : « Je m’étonne que vous vous détourniez si vite de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, pour passer à un autre évangile. » (Galates 1/6)
Mais Paul évidemment n’est pas tolérant là-dessus : pour lui, il n’y a qu’un évangile, le sien, celui qu’il ne cesse de prêcher, sa propre construction, qu’il nomme « l’Évangile du Christ » : « Non pas qu’il y en ait un autre, mais il y a des gens qui vous troublent et veulent pervertir l’Évangile du Christ. » (ibid., 1/7) Et Paul voue aux gémonies tous les autres rapporteurs de la Bonne nouvelle : « Mais si nous-mêmes, ou si un ange du ciel vous annonçait un évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! » (ibid., 1/8) Ce « Qu’il soit anathème ! » (prononcé en 1 Corinthiens 16/22) résonne sinistrement : il est gros de toutes les excommunications à venir, assorties éventuellement des pires châtiments, pour tout contrevenant aux dogmes fixés par l’Institution.
Quant à l’« ange du ciel » annonçant un autre évangile, on ne peut s’empêcher de penser à ce que sera, bien plus tard, la révélation du Coran à Mahomet, qui s’est produite de cette façon. Or l’islam, on le verra, ne fait que se greffer sur le judéo-christianisme des origines. C’est bien une autre « Bonne nouvelle » (sens d’évangile en grec) : simplement elle n’est pas du tout celle de Paul !
De tout cela il faut retirer l’idée que l’enseignement et le message de Jésus sont pluriels, et ne se trouvent pas seulement dans les évangiles canoniques. Et d’autre part qu’il y a eu, qu’il y a encore plusieurs christianismes possibles, autres que la construction paulinienne, même si cette dernière s’est imposée à la longue comme majoritaire.
A suivre....
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Nota :
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