Elles atteignent à la surface de la terre des proportions surréalistes. Ainsi, selon ce que révèle un rapport accablant de l’ONG Oxfam, aujourd’hui 1% de la population mondiale possède plus que les 99% restants. Ce qui fait, souligne le rapport, que 62 personnes sont plus riches que 3,5 milliards d’individus (Source Internet : L’Obs, 18/01/2016).
On croit donc rêver, ou plutôt cauchemarder. Que feront-ils de leur argent, ces nantis obscènes ? Méditeront-ils l’histoire de Midas, qui obtint de Dionysos la faculté de transformer en or tout ce qu’il touchait ? Devenu incapable de manger et de boire, car l’argent ne s’ingère pas, il supplia le dieu de reprendre son présent. Ou encore penseront-ils à la fable du Savetier, qui chez La Fontaine échangea finalement avec le Financier les écus dont la garde l’empêchait de dormir ? De toute façon on n’emporte pas ses richesses dans sa tombe, et un linceul n’a pas de poches.
Nous sommes donc bien entrés dans l’époque du « règne inexpiable de l’argent », selon l’expression de Charles Péguy. Cette avidité sans frein est bien un éréthisme mortifère, analogue à la soif inextinguible de Tantale, que les Anciens avaient condamné aux souffrances infernales. Mais le christianisme aussi stigmatise sans appel les riches : « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Matthieu 19/24 ; Marc 10/25 ; Luc 18/25) Auront-ils le front de se dire encore chrétiens, ces nouveaux maîtres de la terre ?
Ont-ils quelque pitié pour tous ceux qu’ils ont asservis ? J’en doute, et cette vision de cauchemar me mène à la réflexion que se font les Cannibales chez Montaigne (Essais, I, XXX) : « Ayant une façon de leur langage telle qu’ils nomment les hommes ‘moitié’ les uns des autres, ils avaient aperçu qu’il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de commodités, et que leurs moitiés étaient mendiants à leurs portes, décharnés de faim et de pauvreté ; et ils trouvaient étrange comme ces moitiés ici nécessiteuses pouvaient souffrir une telle injustice, qu’ils ne prissent les autres à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons. »
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