Peut-être ce mot va-t-il avoir un jour droit de cité dans nos dictionnaires. Formé à partir du grec, il signifie « haine des pauvres ». Le mouvement ATD Quart Monde vient en effet de lancer une consultation sur les réseaux sociaux, baptisée « Un nom pour dire non », pour désigner l’exclusion dont aujourd’hui les pauvres sont victimes. D’autres noms ont été proposés : comme « classisme », « paupérophobie », « pauvrophobie », « pauvrisme », « misérophobie » (Télérama, 06/072016, p.14). Personnellement, je préfère le premier, qui ne mêle pas le grec et le latin.
Le problème est que cette recherche d’un nom pour un phénomène atteste bel et bien son existence. Comment est-on passé de la valorisation traditionnelle des pauvres, sur fond de morale chrétienne, au mépris dont aujourd’hui on les accable ? De leur défense prise par La Bruyère dans ses Caractères, de l’« éminente dignité des pauvres » dont parlait Bossuet appelant les riches à « porter leur fardeau », ou encore de leur sanctification telle qu’on la voit dans Le Mendiant de Victor Hugo, à leur exclusion nécessitant de trouver un nom pour leur mise à l’écart ? Cette « précarité sociale », doux euphémisme dont on les affuble, est bien devenue aujourd’hui un critère de discrimination.
Lorsque Baudelaire dans un de ses Poèmes en prose, disait : « Assommons les pauvres ! », ou encore lorsque Autant-Lara, dans La Traversée de Paris, faisait dire à Gabin : « Salauds de pauvres ! », il s’agissait d’un discours subversif, destiné à critiquer un catéchisme humanitaire anesthésiant, une passivité s’accommodant de l’ordre social en place, et finalement appelant à la révolte des exclus. Mais aujourd’hui ces formules ne sont pas prises pour ironiques, mais au premier degré. Je pense à la phrase d’un publicitaire naguère, qui avait mis pourtant ses talents à faire élire un Président de gauche : « Si on n’a pas de Rolex à cinquante ans, c’est qu’on a raté sa vie. » Autrement dit : Vous êtes pauvres, c’est bien fait pour vous !
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