La police de Chicago enquête sur le viol présumé d’une Américaine de 15 ans retransmis en direct sur Facebook Live. Une quarantaine de personnes ont regardé la vidéo en direct, selon la police, sans qu’aucune d’elles prévienne les autorités. (Source : lemonde.fr, 23/03/2017)
Ce n’est pas la première fois que des événements de ce type, agressions, accidents, suicides même, filmés et diffusés en direct par le même canal, se produisent sans susciter de réactions de la part de ceux qui les regardent. Le réseau social, malgré l’existence de modérateurs, ne supprime les vidéos violentes ou choquantes qu’après qu’elles ont été signalées en tant que telles par des utilisateurs (même source).
À l’évidence, ce non-signalement devrait être une infraction à la loi. Quiconque est le témoin d’un fait analogue est normalement tenu d’en informer la police, sauf à être accusé de non-assistance à personne en danger. Il est même plus coupable en un sens que l’acteur lui-même de la scène : laisser faire, disait Péguy, est pire que faire. Car celui qui fait, il a au moins la hardiesse de faire. Mais pour celui qui laisse faire, il y a la lâcheté en plus. Il semble qu’il y ait partout, aujourd’hui, une lâcheté infinie : il y a plus de crimes qui se commettent en fermant les yeux que par vraie scélératesse.
Mais en l’espèce les yeux sont restés ouverts par fascination morbide, par voyeurisme. Freud, puis Jacques Lacan ont parlé de la « pulsion scopique », ou « scopophilie », qui renvoie aux zones les plus troubles de l’être, en dépersonnalisant totalement ce qui est regardé.
Aussi c’est un trait de civilisation. À force de voir le déluge d’images dont chaque journée nous gratifie, on ne distingue plus l’image du réel : tout n’est que cinéma, ou jeu vidéo. Il y a là une véritable et constante aliénation : l’image sidère et anesthésie, elle ne nous ouvre plus les yeux sur la vie, et ce que nous voyons n’est plus qu’une fantasmagorie de somnambule, un rêve éveillé. Yeux grands ouverts peut-être, mais aussi grands fermés : Eyes wide shut.
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