Que vais-je souhaiter à ceux que j’aime ? La santé, le bonheur ? Bien banal. Et si pour une fois je faisais des vœux gnostiques ? Essayons : « Je vous souhaite de ne pas obtenir cette année tout ce que vous désirez ! » J’imagine la tête du destinataire : Est-ce qu’on se moque de moi ? Mais si c’était pour lui une occasion de réfléchir ?
Il y a un principe majeur de dégradation dans tout accomplissement : il est le deuil de la promesse du début. On peut menacer quelqu’un de la réalisation de ce qu’il souhaite le plus ardemment, car si cela arrive, il n’aura plus rien à attendre. Les dieux nous punissent en nous exauçant, et il faut toujours dans la vie laisser à désirer.
À l’inverse de ce qu’on dit d’habitude, les absents ont toujours raison, et loin des yeux près du cœur. La vraie fête, c’est la veille de la fête. Le vrai dimanche, c’est le samedi soir. Les vraies vacances, le jour où on les prend. Le meilleur moment en amour, c’est quand on monte l’escalier : il est meilleur dans les rêves que dans les draps. Le cœur bat toujours plus fort dans l’attente des choses, comme aussi bien plus tard dans le souvenir, où elles se transfigurent.
Mais sitôt que quelque chose a commencé, commencent l’entropie, le refroidissement, l’oxydation, la rouille. C’est la fin de l’unité première, où tout était possible, parce qu’aucune détermination n’était encore faite.
Relisez la Genèse, dans une bonne traduction : après le cardinal « Jour un », ou jour de l’unité (1/5 : Yom erad ), vient l’ordinal « deuxième jour » (1/8), et alors Dieu ne s’auto-félicite pas. Il ne dit pas « bon » ce qu’il a fait, jetant un doute sur la positivité générale du processus, et fournissant par là un aliment à mes chers Gnostiques !
Pourvu que ma nouvelle carte de vœux ne provoque pas de fâcherie ! Je peux m’attirer ici comme ailleurs de cinglantes réponses. Mais elles me semblent préférables au ressassement moutonnier, qui au mépris de ce que je sens à certains moments comme irréfutable, me dit toujours belle la création, et révèle ici le sens étymologique de catéchisme : répéter en écho (ekhein) une voix descendue d’en haut (kata). Bref : psittacisme et écholalie.
7 janvier 2010
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