Un ancien article, encore actuel vu la situation d'aujourd'hui (Euro de foot)
Quiconque réfléchit doit voir la totale disproportion qu’il y a entre la célébration hyperbolique de la victoire des Bleus lors de la dernière coupe du monde de foot, et la réalité sociale de notre pays. Seul un Philippe Poutou a eu le courage de la remarquer, en disant après la qualification de la France pour la finale : « C’est donc ça, le tous ensemble et le vivre ensemble ? Juste une place en finale ? Le temps d’oublier nos malheurs comme si ça pouvait les effacer ? Et puis tout reviendra à la normale, tout le monde reprendra sa place ? N’est-ce pas artificiel et manipulateur quelque part ? » (Source : lematin.ch, 12/07/2018)
Mal lui en a pris d’ailleurs, puisqu’il a subi aussitôt sur les réseaux sociaux un tas d’insultes, allant de « grincheux » à « mauvais français ». Quant à moi, je souscris entièrement à sa formulation, et déplore les commentaires chauvins ou aveuglés qu’on ne cesse d’entendre. Ainsi celui du Journal de 13 heures sur France Inter, le lendemain de la finale : « La politique divise, le sport rassemble. » Autrement dit, pour assurer l’unité et la cohésion de la nation, cessons de nous occuper de politique, et communions dans l’émotion d’un spectacle décérébrant !
Les politiques professionnels d’ailleurs surfent sur ce mouvement, et trouvent là une occasion rêvée pour détourner l’attention des citoyens des problèmes qui pourtant les concernent. Comme l’a bien vu Valéry : « La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. »
On me dira qu’il en a toujours été ainsi, et que le peuple depuis l’ancienne Rome ne veut que du pain et des jeux (Panem et circenses). Mais qu’une situation soit ancienne n’implique pas qu’il faille l’accepter. Au reste, elle a été prédite pour le futur par Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, et aussi par Aldous Huxley dans son roman dystopique Le Meilleur des Mondes : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »
Cette prédiction s’est réalisée, et même elle a été dépassée.
Article paru dans Golias Hebdo, 23 août 2018

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