Chaleur écrasante, et gens qui s’écrasent. Malaise. J’ai qualifié autrefois ces plages de rôtissoires collectives. Je ne sais si je dois être fier de cette expression. Elle suggère bien tout de même, il me semble, ce tas de viande étalée. Tantôt cuisant côté pile, et tantôt côté face. Ou bien on dort, étendu dans d’obscènes postures. Ou bien on lit. Mais quoi, mon Dieu ? Magazines, littérature de gare : les fameux pavés de plage, dont regorgent les librairies en juin. Sur la plage, les pavés…
Image parfaite de l’unidimensionnalité : ne se considérer que comme un tas de viande. Mais ils ne me comprendraient pas, pas plus que la foule ne comprend Zarathoustra, le prophète de Nietzsche. Ils sont heureux.
Braillent et vous bousculent tous ces enfants. Sortent des grand’mères, indécentes, leurs seins à l’air. Aujourd’hui, c’est décidé : on laisse tout tomber. On parle d’attentats à la pudeur. Mais quid de l’attentat à l’esthétique ? Règne généralisé de l’obèse : Adipeux roi.
Le grotesque remplace le tragique. Mais n’est-il pas plus tragique ?
Et l’eau méditerranéenne, qu’elle est sale ! Vrai bouillon de culture. Marigot où s’ébat, avec délectation, tout ce bétail. Civilisation de salissure et de germes meurtriers. Plus d’égards nulle part. Ni politesse ni santé n’y trouvent leur compte.
Mais soudainement apparue, et venant à ma rencontre, une silhouette de rêve, et plus proche, un galbe parfait : poitrine ferme, hanches fines. Foin de clichés ! Si l’expression faite au moule à un sens, c’est bien à elle qu’elle s’applique. Mais déjà elle s’éloigne, ne vit plus que dans mon souvenir, me laissant son désir et son regret.
Je ne me retourne même pas, ferme les yeux, méditant, devant tant d’imperfection, l’inattendu et unique surgissement de la perfection. Peut-être cet ange m’a-t-il été envoyé d’un ciel auquel je ne crois pas pour me reprocher ma misanthropie, mon manque de charité ? Mais je vais m’arrêter là : j’aurai la sagesse, ou la paresse, de ne pas développer davantage ce symbole.
(17 septembre 2009)
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Nota : Ce texte est aussi publié en volume. Retrouvez-le, avec toutes mes chroniques revues et enrichies, réunies sous forme de livres édités chez BoD en version papier et en version électronique, et constituant une collection de plusieurs tomes :
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