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Lors de la dernière Foire Internationale d’Art Contemporain, qui vient de se clore à Paris, un « artiste », couronné par le prix Marcel Duchamp, a exposé six authentiques bananes, sur un socle destiné à les mettre en valeur. Le prix demandé pour l’ensemble se situe entre dix mille et quinze mille euros. À l’évidence, et si précieux que soit le socle, cela fait cher le kilo de bananes. Et à côté de cela, beaucoup de démunis fouillent les poubelles pour trouver un minimum à manger. Gageons que s’ils avaient pu entrer à cette FIAC, et s’ils avaient vu ces bananes, ils auraient pu les rendre à leur fonction initiale d’aliment, comme celui qui à Nîmes naguère avait rendu à l’urinoir de Marcel Duchamp sa fonction première, en urinant dedans. Il fut d’ailleurs poursuivi en justice, pour crime de lèse-œuvre artistique.
Le conformisme du public est effrayant. Il suffit d’un lieu majestueux, d’un catalogue luxueux, d’un article de critique connu, voire d’une déclaration présomptueuse de l’« artiste » lui-même, relayé par les médias, laissant présumer que ce qu’il montre est une œuvre, pour que n’importe quoi se trouve sacralisé. Comme on se souvient peut-être des condamnations qui ont frappé en leur temps Les Fleurs du mal ou Madame Bovary, on a peur de passer pour un béotien, et on gobe tout.
On nous dira que c’est l’intention qui a poussé à exposer ces bananes qui compte, qu’il faut comprendre le processus lui-même, l’importance du regard dans la constitution de l’œuvre, etc., donc ne pas s’arrêter à cela seul qu’on voit. C’est le propos de tout l’art qu’on dit « conceptuel »
Mais l’art n’a a pas à voir avec une intention ou un concept : il concerne la sensibilité aux formes, où le réel est effectivement transfiguré par le regard nouveau d’un vrai artiste. Ainsi l’asperge de Manet n’est pas une asperge en tant que légume : c’est un magnifique et souverain geste graphique, qui renvoie au savoir-faire du peintre, capable de résumer ce qu’il voit en idéogramme du réel.
Beaucoup d’installations contemporaines qui encombrent nos foires d’art, expositions, musées, ne résisteraient pas si un seul visiteur décidait d’abandonner le respect et se mettait à rire de ce qu’il voit, entraînant à sa suite, par contagion libératrice, le rire irrépressible de tous les autres. Il suffirait d’en faire l’expérience !
Article paru dans Golias Hebdo, 10 novembre 2011
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