Nous venons à peine de terminer nos vacances d’été, que déjà on nous propose des destinations pour celles de Toussaint, voire celles de Noël. J’ai pensé alors à la belle formule d’Angelus Silesius, dans Le Pèlerin chérubinique : « Arrête-toi, où veux-tu encore aller ? Le ciel est à l’intérieur de toi. Si tu le cherches ailleurs, jamais tu ne le trouveras. » (I, 82)
Je regrette beaucoup la fin de l’intériorité chez nos contemporains. Ils comblent leur vide intérieur par des voyages incessants. À eux s’applique le conseil de Sénèque à Lucilius : « Tu fuis avec toi-même. C’est d’esprit que tu dois changer, non de ciel (Tecum fugis. Animum mutare, non caelum) ». En fait le vrai ciel, le ciel spirituel, c’est en soi qu’on le trouve, par le recueillement immobile.
Je pense aussi à la demande du Notre Père concernant le Royaume ou le Règne : c’est à lui de venir en nous, et non à nous d’y aller. On lit plus loin : « Comme au ciel, ainsi sur la terre ». L’ordre des mots est très important : si le ciel est ainsi mis en premier, c’est qu’il doit descendre en nous, et que notre vie dès maintenant peut être céleste. Mais quand on traduit chez nous par inversion des termes : « Sur la terre comme au ciel », on fait de la terre une simple antichambre du ciel, vers quoi on nous invite à aller. Bossuet comprenait : « Que ce qui se commence ici, s’achève là ! » Mais à quoi sert de se déplacer, si la destination est déjà présente ?
En vérité, le Royaume est « à l’intérieur de vous », comme le dit l’évangile de Luc (17/21), malgré toutes les traductions faussées qu’on fait de ce passage (« parmi vous », etc.), en faisant passer l’idéologie avant la philologie. Tant l’intériorité fait toujours peur, et tant on préfère l’attente des choses toujours différée à la possibilité de leur présence immédiate ! C’est bien lâcher la proie pour l’ombre.
Les agents de voyages ne comprendront pas grand-chose à ces considérations. Laissons-les à leurs mercantiles calculs. Et rassurons ceux qui attendent de l’extérieur ce qui jamais n’arrivera. Car que peut-il arriver qui ne naisse pas de nous-mêmes ?
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Pour un développement des idées contenues dans cet article, on peut se reporter à mon ouvrage La Source intérieure, préfacé par André Gounelle :
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