Elle caractérise le mode de vie, l’éthos de notre époque emballée, fast and furious. Je pense à l’habitude que prennent certains de regarder, sur Netflix par exemple, les séries pourtant déjà très courtes en accéléré, avec un coefficient d’augmentation de vitesse de 1,3 ou 1,5 : c’est ce qu’on appelle le speed watching. On connaissait déjà le binge watching, consistant à ingurgiter tous les épisodes d’une série à la suite les uns des autres, jusqu’à atteindre une sorte d’ébriété visuelle – comme dans le binge drinking, où l’on s’alcoolise très rapidement pour atteindre l’ivresse le plus vite possible. Dans tous les cas, le résultat ne peut être que la confusion mentale, l’hébétude.
Au mieux, le film ainsi regardé ne sera réduit qu’à son argument ou son intrigue, son pitch. Or le sujet d’un ouvrage est, selon le mot de Valéry, ce à quoi se réduit un mauvais ouvrage. Et aussi tous les films contemplatifs, ou appelant pour chaque plan à l’observation minutieuse des détails, comme par exemple les derniers films de Tati, ne pourront plus être goûtés.
Homologue au speed watching dans le monde de l’imprimé est la publication des livres en version abrégée, qui se répand aussi aujourd’hui. On connaît déjà le fameux Reader’s Digest, sélection d’articles condensés pour ceux qui n’ont pas le temps de lire des textes complets. Ce procédé abréviant peut être utile pour des textes informatifs, mais pas du tout pour des textes complexes ou littéraires. Imagine-t-on Proust abrégé, ou Balzac ? De ce dernier on supprimera évidemment les descriptions, en oubliant qu’elles ne sont pas gratuites, ludiques ou pittoresques, mais bien didactiques, et servent à la compréhension de l’ensemble de l’histoire.
C’est une curieuse idée que de vouloir toujours gagner du temps : on y perd l’essentiel, la profondeur, l’intime substance intérieure. La réalité contemporaine est punctiforme et pulvérisée. L’esprit même se veut multitâche, à l’image de ces différentes Fenêtres (Windows) que l’on ouvre en concomitance sur l’ordinateur. Mais qui veut faire plusieurs choses à la fois ne fait rien vraiment. Fais (seulement) ce que tu fais, dit le proverbe : Age quod agis.
Time is money, dit-on. Non, le temps n’est pas de l’argent, mais de la concentration lente, de la maturation silencieuse. Aussi, à tous ceux qui veulent se hâter, opposons un autre proverbe oxymorique celui-là : Festina lente – Hâte-toi lentement.

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