Ce mot vient à l’esprit à propos de ce qu’on vient d’apprendre sur la double figure de Jean Vanier, fondateur de l’Arche, organisme caritatif qui vise à accueillir et aider les personnes handicapées : sous couvert d’accompagnement spirituel, il a abusé sexuellement de personnes en état de vulnérabilité psychologique. Sa personnalité a donc été double, faisant voisiner un versant lumineux et un versant obscur. De cette scission les exemples sont nombreux en pathologie médicale et en littérature, du Docteur Jekyll et Mister Hyde de Stevenson au Vicomte pourfendu d’Italo Calvino.
Le langage employé par Jean Vanier pour séduire ses victimes était double lui aussi, de type érotico-mystique, mêlant amour divin et amour profane. On pense à certains mouvements dont j’ai parlé dans mon Petit lexique des hérésies chrétiennes (Albin Michel, 2005). Ainsi ces Agapètes du 4e siècle, qui affirmaient que rien n’était impur pour une conscience pure, et donc que si l’on se trouvait dans ce cas tout était permis. Ils pouvaient prendre dans un sens charnel le mot d’Augustin : Dilige et quod vis fac (Aime et fais ce que tu veux). Je pense aussi à ces Condormants allemands du 13e siècle, qui avaient coutume de dormir ensemble (cum-dormire), sans distinction de sexe. Ou encore à la façon dont certains Bégards et Béguines, au 14e siècle, interprétaient les textes et la théologie : Rogo caritatem, conjaceas mihi (J’ai besoin d’amour, couche avec moi).
La pratique du « mariage spirituel » fut dès l’origine en usage aussi dans le monachisme, où elle se nomme syneisaktisme. Mais le but en était la mortification : il s’agissait de savoir résister aux tentations en se confrontant à leur présence constante. Ce n’a pas été le cas apparemment pour Jean Vanier.
Il faudrait donc en toute chose, aussi bien dans le regard que dans le langage, éviter toute duplicité, être simple. C’est ce que dit l’Évangile : « La lampe du corps, c’est ton œil. Lorsque ton œil est simple, ton corps tout entier aussi est illuminé ; mais dès qu’il est malade, ton corps aussi est dans les ténèbres. » (Luc 11/34) Ce qui disqualifie conduite et mœurs, c’est le regard et le langage équivoques, avec arrière-pensées, qui renvoient à un être divisé. Là est le diable (diabolos), celui qui sépare, qui divise (diaballein : désunir). À de certains moments on peut donc dire du fondateur de l’Arche que c’est le Diable qui l’a embrouillé.

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