L’actuelle réforme du baccalauréat prévoit comme épreuve spécifique un Grand Oral de 20 minutes passé devant le jury. Or autant je pense que les anciennes épreuves orales venant compléter ou corriger l’écrit dans chaque discipline étaient utiles, autant il me semble que cette mesure est dangereuse.
Au cours de l’émission de France Inter Le Téléphone sonne, diffusée le 13 février dernier, un représentant du Ministère a déclaré : « On n’appréciera pas la compétence technique, mais l’aisance à s’exprimer ». Par « compétence technique » il faut entendre la maîtrise d’un savoir. On voit donc ce qu’il va en être du Grand Oral : la forme, l’aisance à parler, y prévaudront sur le fond. En outre les 5 dernières minutes de l’épreuve seront consacrées au « projet de vie » du candidat. Avec cette pratique, issue du management, on est tout à fait hors du domaine qui devrait être celui de l’enseignement : la vérification, par l’examen, des connaissances acquises.
Ce Grand Oral vient des pratiques de certaines Grandes Écoles, au premier chef de celles de commerce. Les étudiants qui préparent HEC, par exemple, s’y entraînent en utilisant des moyens sophistiqués, comme le filmage en vidéo. Qu’il s’agisse ici de commerce n’est pas innocent. Il convient de faire bonne impression sur le jury, comme plus tard le vendeur se doit de séduire le client par un beau discours. Peu importe la substance du message. Ce qui compte est le talent de celui qui parle. Le canal utilisé l’emporte sur un fond dont on ne s’occupe pas. Comme disait Mac Luhan : « Le message, c’est le medium. »
Nos politiques aussi, passés par Sciences Po et l’ENA, sont habitués au Grand Oral. Et comme les commerciaux, ils sont bien souvent des bonimenteurs, vecteurs à quelque bord qu’ils appartiennent d’une « langue de bois » interchangeable à laquelle ils ont tous été formés.
J’ai bien peur que ce Grand Oral ne formate de la même façon les candidats au bac. On leur donnera quelques cours et techniques d’éloquence, et très vite ils ne s’occuperont pas de ce qu’ils ont à dire, mais de la façon de le dire. Comme ces rhéteurs et sophistes de l’Antiquité, qui pouvaient défendre indifféremment telle ou telle cause, en s’occupant seulement de l’effet qu’ils produisaient sur leurs auditeurs.
Bref, cette mesure me semble bien le signe de notre époque moderne, où on a moins besoin de savants que de beaux parleurs.

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