J’ai regardé avec beaucoup d’intérêt l’excellente émission Salvator Mundi : la stupéfiante affaire du dernier Vinci, passée sur France 5 le 13 avril dernier.
On y apprend qu’un tableau dont on ne sait encore s’il est vraiment de Vinci a été acheté 1000 dollars, et après des passages rocambolesques de main en main ainsi que des spéculations de tous ordres racheté finalement par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane 450 millions de dollars, ce qui en fait le tableau le plus cher du monde.
Ce qui m’a frappé est que jamais on n’a parlé dans l’émission du sujet du tableau. On s’est contenté de discuter de son authenticité (est-il de Vinci ou non ?), et des montages financiers dénués de scrupules qui ont permis l’envolée faramineuse de son prix. Personne par exemple n’a remarqué qu’il est étrange qu’il ait pu être acheté par un prince arabe, appelé à régner sur un pays détenteur des lieux saints de l’Islam, alors qu’il représente un motif religieux chrétien. Normalement la tradition iconoclaste musulmane aurait dû l’en détourner, et susciter de sa part l’indifférence, si ce n’est l’hostilité.
En vérité, mû par des raisons géopolitiques, il a voulu assurer son pouvoir : après avoir régné par le pétrole, qui n’est pas inépuisable, il s’agit maintenant de régner par un soft power : le tableau trônera dans un des nombreux musées qu’il projette dorénavant d’installer dans son pays, et cela y favorisera le développement du tourisme.
La leçon de tout cela est simple : Dieu disparaît de l’horizon des hommes, et le remplacent l’argent et le pouvoir, les deux étant indissolublement liés. On spécule non pas sur un tableau et son sujet, sa signification, mais sur un simple nom postulé (celui de Vinci). C’est une bulle tout à fait creuse, comme toutes les bulles financières : abstraction pure, où le formel l’emporte sur le significatif.
L’art traditionnellement figurait les dieux, incarnait d’abord des croyances, puis des rêves, collectifs et individuels. Aujourd’hui il s’en est émancipé, vidé de son contenu. Autrefois sacré ou religieux, habité en tout cas, maintenant il est devenu autonome, et à la fin il en reste une forme évanescente et creuse, le simple nom de l’artiste supposé comme prétexte à jongleries financières.
Déplore-t-on cette fin ? En regard, voyez les icônes, bien habitées quant à elles par une Transcendance : subordonnées à plus grand qu’elles, elles ne sont pas signées.
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Ce texte est à paraître dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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