J’ai été très impressionné par l’émission Lene Marie ou le Vrai Visage de l’anorexie, diffusée sur Arte en fin de soirée le 19 août dernier. Sans aucun fard, cette jeune femme à la maigreur squelettique, devenue photographe, confessait qu’elle n’avait pas voulu grandir à partir de l’âge de dix ans. Sa maladie venait de ce qu’elle n’admettait pas les changements en tout domaine et les ravages ordinaires du temps, d’où un désir d’arrêt sur place, qu’elle satisfaisait par la seule défense qui lui restait, la maîtrise sur son corps qu’elle refusait de nourrir.
Elle n’a donc pas connu la puberté, et est restée une femme-enfant. Sans doute ce qu’elle observait autour d’elle, la vie des adultes, les bassesses, compromissions et hypocrisies qu’elle implique, l’ont-elles confortée dans son choix. Mais ce ne fut pas comme on le croit un choix de mort : elle dit bien dans le film qu’elle voulait vivre. Simplement vivre autrement que ce qu’elle voyait autour d’elle, qui pour elle était une fausse vie : j’ai pensé par exemple à celle de ceux que les anciens gnostiques appelaient pseudanthropes, ou semblants d’hommes.
Je ressens tout à fait en ce qui me concerne la pertinence de ce choix. Qu’est-ce qu’une vie d’adulte, sinon une capitulation, une trahison des promesses de l’enfance ? Rien de tel qu’un regard lucide, celui d’un enfant précisément, pour voir le décalage constant entre ce qui est affirmé et ce qui est effectivement vécu. Et cette impression est d’autant plus forte que l’enfant est sensible, ce qui fut le cas de Lene Marie.
Aussi rien ne sert pour les adultes de vouloir entraîner l’anorexique dans leur monde, puisque précisément il le refuse. Ils devraient plutôt s’examiner eux-mêmes et essayer de se changer, si tant est qu’ils le puissent : au moins peuvent-ils par introspection se demander ce qui ne va pas dans leur genre de vie, et qui justifie un tel refus.
Quand une vie est vouée à la seule consommation matérielle, dont la nourriture est une évidente métaphore, on comprend qu’elle soit percée à jour et suscite la nausée. La Grande Bouffe de Ferreri, film symbole et apocalyptique, est bien propre à inspirer par réaction tous les anorexiques du monde.
Il ne faut pas négliger chez une jeune fille ce qui n’est pas une lubie de minceur pour se conformer aux canons de la mode, mais qui constitue en réalité un refus métaphysique du monde comme il va. L’anorexique « n’est pas d’ici », comme l’a dit Patrick Poivre d’Arvor dans le livre consacré à la mort de sa fille Solenn. C’est exactement ce que dit Jésus dans l’évangile selon Jean : « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » (18/36)

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Anorexie - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
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