Il faut évidemment lutter constamment contre lui. Cependant il faut aussi faire très attention lorsqu’on emploie ce mot pour incriminer quelqu’un. Par exemple, lors du dernier match de foot qui a opposé le PSG au club turc Basaksehir, tous les joueurs se sont retirés du terrain en accusant de racisme le quatrième arbitre, qui avait désigné à l’arbitre central un membre agité du staff de l’équipe turque en l’appelant negru, noir en roumain. Aussitôt tout le monde a parlé de racisme, y compris dans les instances de notre gouvernement.
Or il se trouve qu’en langue roumaine il n’existe pas d’autre mot que celui-là pour désigner un homme noir, et que ce mot n’a pas, comme nègre chez nous maintenant, de connotation péjorative. C’était donc la seule façon de désigner le « trublion », sachant que tous les arbitres étaient roumains et qu’ils parlaient dans leur langue. En outre, tous les membres du staff de l’équipe turque étaient habillés de la même façon, et on ne pouvait en distinguer un que de cette manière. Si dans un groupe majoritaire de blancs je veux désigner un noir, suis-je raciste en employant le mot noir ? Et si dans un groupe majoritaire de noirs, je veux désigner un blanc, le suis-je aussi si j’emploie le mot blanc ?
Mais les joueurs à la place de negru (qui vise la couleur de peau) ont entendu negro, qui est une insulte. Et c’est de là qu’est parti, au sens littéral, le malentendu. L’onde de choc de l’éclat s’est étendue au plus haut niveau diplomatique, puisque le président turc Erdogan a condamné comme racistes les propos de l’arbitre roumain.
La première tâche à faire pour gouverner un pays, disait Confucius, est de restaurer le sens des mots. De petites erreurs de sémantique peuvent en effet avoir des conséquences incalculables. Ainsi le largage de la bombe atomique sur Hiroshima pourrait provenir en partie d’une erreur de traduction. À une proposition états-unienne d’une reddition, l’état-major japonais a répondu « sans commentaire », mais ce même mot, Mokusatsu, peut signifier aussi « avec mépris », et c’est ce dernier sens que les médias ont publié et qui parvint au président Truman : ordre fut donné ensuite de lâcher la bombe (Source : beelingwa.com).
« Toutes les occasions de trouble du monde sont grammairiennes », disait Montaigne. Aussi avant de nous insurger, de réagir impulsivement à tel ou tel fait, mieux vaut d’abord nous assurer de la réalité de ce fait.
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