Voici un panneau qui a été installé par la mairie d’Epinay-Champlâtreux (Val-d’Oise) sur la D316 qui relie la Seine-Saint-Denis à l’Oise, prévenant les contrevenants qu’ils sont vidéo-surveillés et risquent d’être verbalisés. Un exemple inspiré de celui installé à Valence (Drôme).
Ce panneau fait mention d'une loi de prohibition que je trouve liberticide : Acheter un acte sexuel est interdit par la loi et passible d'une amende de 1500 euros.
Et voici à ce propos le texte de deux articles que j'ai publiés dans Golias Hebdo en 2013 et 2014, et qui sont repris dans le tome 3 de mes recueils d'articles Des mots pour le dire. Ils ont été écrits avant que soit votée la loi en question. On y verra un bel exemple de ce retour de l'Ordre Moral, la moraline de Nietzsche, auquel nous assistons aujourd'hui.
J’admire l’assurance des promoteurs de cette loi, qui ne se sont pas rendu compte de l’extrême complexité de la question. D’abord il eût fallu bien distinguer les prostituées contraintes, et pour cela pourchasser impitoyablement les réseaux qui les exploitent, des prostituées volontaires. Il est évident que dans ce dernier cas la loi est un obstacle à leur liberté. En outre, comment repérer qu’un couple appréhendé a des relations tarifées ? Il pourra toujours le nier, et comment prouvera-t-on le contraire ? Aucun client n’aura la bêtise de payer la relation au moyen d’un chèque ou d’une carte de crédit !
Se pose ici le même problème que celui de l’incrimination pour « devoir conjugal » non accompli [voir tome 2 : Obligation]. Pourquoi la justice, en-dehors évidemment des cas de violence hautement punissables, devrait-elle toujours se mêler de la vie privée ? Le même problème d’immixtion s’était posé déjà à propos d’un projet de loi voulant interdire de donner une fessée aux enfants [voir tome 1 : Angélisme].
Bien sûr, on va produire des arguments moraux : il est déshonorant de vendre son corps. Mais l’est-il plus que de vendre son temps, sa substance, physique ou intellectuelle, dans un travail salarié que l’on subit, et dont on ne tire aucune gratification pour son âme ? Où est la supériorité de ce dernier cas, par rapport à celui de rapports sexuels contractuels entre deux adultes consentants ?
De ce point de vue, on peut comprendre qu’une prostituée puisse venger, en faisant ce choix, toutes ses sœurs miséreuses et exploitées, qui n’ont pu comme elle « sortir du ruisseau » : voyez là-dessus Nana, de Zola.
Et aussi, que penser de certaines femmes dites honnêtes ? Pensons d’abord à ce que dit La Rochefoucauld : « Il y a peu d'honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier. » Aussi pensons à ce qui se passe dans certains mariages : les vraies prostituées, dit Brel dans L’Air de la Bêtise, sont celles qui se font payer pas avant mais après. Et enfin, que savons-nous des destins, pour ainsi juger les prostituées ? Telle ou telle eût pu être notre mère, comme dit Brassens dans sa Complainte des filles de joie…
Toute initiative pour protéger les prostituées, leur condition matérielle et sanitaire par exemple, est évidemment bienvenue. Mais la judiciarisation systématique des conduites à laquelle on assiste aujourd’hui pèche son systématisme, son traitement simpliste de questions autrement plus compliquées.
Je viens de lire dans l’hebdomadaire La Gazette de Montpellier, journal ordinairement sérieux, l’article suivant, sous le titre Facs – 4% des étudiants se prostitueraient : « 4% des étudiants ont déjà accepté des relations sexuelles contre de l’argent ou des cadeaux. C’est la conclusion d’une étude menée par l’Amicale du Nid, le Crous et l’université Paul-Valéry. Parmi les 1800 répondants, tous étudiants à la fac de lettres, 22 hommes et 37 femmes ont ainsi vécu cette situation. Plus étonnant : plus de la moitié des étudiants interrogés estiment que cela peut être un moyen de s’en sortir. » (n°1363-1365, du 31/07 au 20/08 2014, p.13)
Cet article conforte ce que j’ai déjà dit dans mon billet Prostitution (initialement paru dans le n°312 de Golias Hebdo), lorsque je me suis élevé contre une proposition de loi qui prévoyait, pour éradiquer la prostitution, de pénaliser le client. Ce texte liberticide émanait à l’évidence d’un lobby féministe moralisateur, qui pouvait voir dans la prostitution, selon le titre de la chanson de Brassens, une « concurrence déloyale ». Mais évidemment il se drapait dans de hautes considérations éthiques, selon lesquelles il est déshonorant de vendre son corps – comme si quotidiennement le travailleur salarié exploité ne vendait pas lui aussi une partie de son être intime, gaspillée sans retour ! De toute façon, la réaction susdite de ce « plus de la moitié des étudiants interrogés », qui dans la prostitution ne voit ni objection ni abjection, fait justice de l’argument moral.
Notre société est victime de ce que Nietzsche appelait la « moraline », c’est-à-dire un souci de tout justifier moralement, pouvant mener à une censure systématique de toute conduite jugée condamnable, au mépris des libertés élémentaires de l’individu. D’où la judiciarisation systématique des conduites à laquelle on assiste aujourd’hui, qui pèche par son traitement simpliste de questions autrement plus compliquées.
S’agissant de la prostitution, on peut évidemment la déplorer, mais non a priori la condamner si elle est volontaire, et met face à face des adultes consentants. Un axiome juridique est d’ailleurs : Volenti non fit injuria – « Envers qui consent, pas d’injustice ». Dans le cas contraire, et s’il y a contrainte, il suffirait de poursuivre les proxénètes, dont une grande partie d’ailleurs est faite de femmes, n’en déplaise à notre lobby socialo-féministe !