Un ancien article (30 mai 2021)
Je viens de lire sur le site de l’Élysée le discours prononcé par Emmanuel Macron pour la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er. J’en retire ces deux phrases. « La vie de Napoléon est d’abord une ode à la volonté politique. À ceux qui jugent les destins figés, les existences écrites à l’avance, le parcours de l’enfant d’Ajaccio devenu maître de l’Europe démontre qu’un homme peut changer le cours de l’Histoire. »
À l’évidence, c’est de son propre parcours que parle aussi le Président. Mais l’important est la philosophie qui se dessine ici. Toute entreprise n’y est jugée qu’à l’aune de son issue : si elle rencontre l’échec, celui qui l’a tentée est condamné. Mais si le résultat est positif, son auteur par cela seul est justifié. La réussite vaut sacre et absolution.
On connaît l’obsession du Président pour la réussite. Ainsi a-t-il parlé en 2017 de « ceux qui réussissent à côté de ceux qui ne sont rien. » Et à propos du Mondial de foot 2018 il a affirmé qu’« une compétition est réussie quand elle est gagnée. » Est-ce bien charitable pour les perdants, qui sont ainsi rejetés au néant ?
Sa vision du parcours de Napoléon est hégélienne. On sait que le philosophe allemand voyait dans les triomphes de l’Empereur français le visage de l’Histoire en marche. C’est, laïcisée, la vieille théologie de la rétribution, pour laquelle la réussite signifie l’approbation de Dieu, et l’échec, sa désapprobation. Une variante en est la « théologie du succès », qui modèle la vision de l’ancien président états-unien, et qui sous-tend toute la Weltanschauung du capitalisme libéral. On peut y voir une application du darwinisme à l’échelle des sociétés. Dans la sélection impitoyable de la lutte pour la vie, nulle place pour les perdants. Vae victis ! – Malheur aux vaincus !
Il y a dans cette vision une sorte de nihil admirari jésuite. Simplement « À la plus grande gloire de Dieu » y devient « À la plus grande gloire de l’Histoire. » Et aussi un grand cynisme. Toujours le « maillon faible » doit sortir. Et enfin une grande abstraction, au sens où la réussite n’est appréhendée que formellement, le contenu humain étant toujours relativisé, et même oublié. Napoléon, nous dit-on, a réussi à devenir « le maître de l’Europe ». Est-ce là un but que peut réellement se proposer un homme ? Qui sérieusement voudrait le devenir, sans compter même le prix de plusieurs centaines de milliers de morts ?
Article paru dans Golias Hebdo, 20 mai 2021
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Michel Théron