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lle n’est pas réservée aux jeux des enfants. Des adultes même s’en emparent, pour peupler leur vie désertée par la passion.
Ainsi a fait un Japonais de Tokyo, kinésithérapeute de 45 ans. Lorsque la flamme s’est définitivement éteinte entre lui et son épouse, après l’accouchement de celle-ci, Masayuki Ozaki a acheté, pour combler le vide, une poupée en silicone, devenue depuis l’amour de sa vie. De grandeur nature et d’un réalisme confondant, elle partage son lit dans la maison familiale, où habitent aussi sa femme et sa fille adolescente (Source : LeParisien.fr, 30/06/2017).
L’article précise que nombre d’hommes qui possèdent au Japon de telles poupées, appelées rabu doru (love dolls), ne voient pas en elles de simples objets sexuels mais véritablement des êtres à l’image des humains, qu’ils entourent de soins quotidiens. En somme ils leur donnent vie, comme celle que Pygmalion insuffla à la statue Galatée née de ses mains.
Symboliquement le sens ici est d’ailleurs très beau : nous pouvons donner vie à quelqu’un en le caressant, en lui manifestant notre tendresse. « Elle a la forme de mes mains », dit Éluard dans « L’Amoureuse ». Et à l’inverse on peut tuer quelqu’un en ne s’intéressant pas à lui : de possiblement lumineux, son visage devient terne et gris. On voit bien dans la rue à voir les traits de sa figure, ou au sens général de son allure, si quelqu’un est aimé, ou pas.
On objectera que la poupée n’est qu’un objet. Alors il faut bien reconnaître que cette réification de son objet est tout à fait dans la logique même de l’amour-passion. Vivant, l’autre nous résiste. On ne le possède vraiment que lorsqu’il est sans vie, par exemple quand il dort, comme Proust le dit d’Albertine : ce n’est qu’ensevelie dans le sommeil qu’elle était tout à fait à lui, et réalisait enfin, comme il le dit, « la possibilité de l’amour ». Je pense aussi aux Belles Endormies, de Kawabata. Si l’on songe que le sommeil est l’image de la mort, il s’agit bien de nécrophilie !
La perplexité peut nous saisir à considérer l’ambivalence de sens que revêt la poupée. Mais nous y gagnons de percevoir notre complexité, tant le cœur humain est dédaléen et labyrinthique !
Article paru dans Golias Hebdo, 13 juillet 2017
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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