Une enquête vient de révéler que la France a discrètement vendu du matériel militaire à la Russie entre 2014 et 2020, malgré l’embargo imposé par l’Union européenne à ce pays en 2014, consécutif à son annexion de la Crimée. Ce matériel pourrait être utilisé actuellement par la Russie dans son invasion de l’Ukraine. Dans cette affaire, la France a considéré que le contrat de vente n’étant pas rétroactif, les contrats signés avant l’embargo pouvaient être maintenus et les livraisons d’armes assurées. (Source : francetvinfo.fr, 14/03/2022)
Donc la décision a été légale. Mais a-t-elle été légitime, c’est une autre question. Les deux choses doivent bien être distinguées. La première est de nature formelle, et la seconde, d’essence morale. Par exemple, lors de la dernière guerre mondiale, il était légal d’obéir au régime de Vichy, mais pas forcément légitime. Depuis Antigone, on sait bien que les lois édictées par la conscience personnelle peuvent bien passer dans certains cas avant celles de l’État.
Dans cette affaire, les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron ont eu en tête les devises que ces ventes pouvaient rapporter à des sociétés dont l’État français est le premier actionnaire. En somme, tout scrupule moral étant étouffé, la règle a été de gagner de l’argent, et de faire des affaires comme d’habitude – Business as usual.
On peut se demander aussi, par delà les considérations morales, s’il est bien conforme à l’intérêt d’un pays de vendre des armes. On nous dit que la France a pour habitude de n’en vendre qu’à des « pays amis ». Mais un pays ami peut aussi bien, par les aléas de l’Histoire, devenir un pays ennemi, comme on le voit tragiquement aujourd’hui. Et on peut voir se retourner contre soi les mêmes armes qu’on aura vendues.
À tout le moins il y a eu légèreté dans la décision française. Mais on s’entend répondre qu’est en jeu dans le commerce des armes un grand nombre d’emplois chez nous, comme si ces emplois ne pouvaient être transférés vers des activités moins meurtrières. Puis, selon le ministère des Armées commentant la décision, que « La France n’est pas le seul pays européen à y avoir recouru. » Autrement dit, d’autres que nous ont fait la même chose. Et enfin, argument suprême sûrement, que si nous ne le faisons pas, d’autres que nous le feront à notre place.
Telle est la realpolitik, et tel est son cynisme. C’est bel et bien un monument d’hypocrisie.
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