Vladimir Poutine n’a pas supporté le vent de liberté qui a soufflé en Ukraine depuis la révolution de Maïdan de 2014. Aussi il redoute qu’il soit contagieux pour les pays voisins, ceux de l’ancienne Union Soviétique. Nostalgique de cet ancien Empire, il veut museler en chacune de ses parties tout élan possible vers la liberté.
On peut considérer cet état d’esprit comme absolument condamnable, ce qu’il est en effet, mais on peut aussi s’interroger sur ses présupposés psychologiques. Et pour ce faire on peut se reporter à la Légende du Grand Inquisiteur qui figure dans Les Frères Karamazov, de Dostoïevski.
Dans une Europe enflammée par les bûchers où on brûle les hérétiques, Jésus revient sur terre. Un haut dignitaire, le Grand Inquisiteur, l’apostrophe et lui reproche d’avoir enseigné aux hommes la liberté. Mais ils ne peuvent en supporter la responsabilité, ils préfèrent être guidés. C’est la charge précisément du Grand Inquisiteur de les délivrer de ce fardeau et de les diriger, ce qui est plus confortable pour eux. Aussi va-t-il à nouveau condamner Jésus à mort, pour avoir trop exigé des hommes, demandé une posture qu’ils ne peuvent pas tenir.
Cette parabole est très juste. D’abord il est vrai que Jésus a éveillé les hommes à la liberté. Il suffit de voir l’épisode de sa Tentation au désert dans les évangiles synoptiques. Le but en est la désaliénation des hommes par rapport aux désirs qui les habitent (la nourriture, le pouvoir, l’éblouissement par la magie du divertissement). Ils doivent être autonomes, et non pas dépendants d’autrui.
Mais malheureusement les hommes n’ont que faire de cette liberté, qui les force à un effort de tous les instants par rapport à leurs instincts naturels. Ils préfèrent se laisser guider par un chef quelconque. À l’autonomie ils préfèrent l’hétéronomie. Cela satisfait leur appétit grégaire : il est plus confortable de vivre en troupeau, et d’obéir à ce qu’il y a en soi de plus élémentaire.
Le communisme non pas comme rêve, mais comme réalité, pour reprendre le titre d’un livre essentiel de Zinoviev, repose aussi sur cet appétit. Je ne sais si Vladimir Poutine connaît le livre de Dostoïevski, et si même il pourrait se voir en Grand Inquisiteur. Il n’a pas l’air d’être un grand intellectuel en tout cas. Mais les ressorts du régime dont il rêve ont bien été mis à jour et déconstruits par un de ses compatriotes même, un grand romancier russe.
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