Elle est bien souvent, comme dit le proverbe, mauvaise conseillère. On peut le vérifier en considérant le destin de Vladimir Poutine.
Il a commencé, sous l’ère soviétique, par être lieutenant-colonel du KGB, où il voulait faire carrière dans le contre-espionnage. Le propre de cette fonction est de se méfier de tout et de tous, et de voir autour de soi des traîtres et des complots incessants. Bref, un complexe de l’assiégé ou obsidional, qui peut mener à la folie et au délire paranoïaque (Jean-Jacques Rousseau chez nous en était atteint). Or quand on se sent persécuté, c’est bien de la peur qu’on ressent vis-à-vis du persécuteur, et qui se tourne ensuite, comme un moyen de la faire cesser, en violence contre lui.
L’effondrement de la Russie soviétique a été l’effondrement du propre monde de Vladimir Poutine. Il ne s’en est jamais remis, et aussi il n’a de cesse au fil des années que de la reconstituer à sa façon. Ce système qu’il a connu dans sa jeunesse lui semble le seul possible, il fait corps avec lui, et tout facteur qui s’en écarte ou le compromet lui fait peur. Aussi comme toujours il veut intervenir pour l’anéantir. Parfaitement psychorigide, refusant tout changement et toute évolution, il n’admet pas que s’éveille dans le cœur des hommes un quelconque élan vers la liberté. Soit il admet qu’il est naturel et qu’il faut le combattre, soit plutôt il imagine, toujours dans la logique complotiste, qu’un tel élan est suscité ou manipulé de l’extérieur. L’OTAN lui fait peur, car ce qu’il signifie met en question son propre régime totalitaire et liberticide, et en dernière instance, sa propre raison d’être et même sa propre existence.
Bien entendu les reproches qu’il adresse à l’Occident ne sont pas tous infondés, et il a beau jeu de pointer les contradictions qu’il y a chez ce dernier entre ce qu’il prône et la façon dont il se comporte parfois. Il ne faut pas en être surpris. Si Vladimir Poutine est obstiné, il n’est pas du tout incohérent. Il raisonne très bien au contraire. « Le fou, disait Chesterton, est celui qui a tout perdu, sauf la raison. » L’erreur de l’Occident est de ne pas avoir pris au sérieux les divers avertissements qu’il a déjà donnés au fil des années.
La violence vient toujours d’une peur qu’on ressent au fond de soi et qu’on veut combattre : y recourir est le moyen de la compenser et de la surmonter. Parmi les chiens, celui qui aboie le plus fort est le plus petit : celui qui se sent le plus faible. Il compense sa faiblesse par l’intensité de ses aboiements, qui sont ses rodomontades à lui. À l’inverse, quand on est vraiment fort on n’a pas besoin de le montrer.
Malheureusement la peur est contagieuse. Qui a peur, par sa violence et sa brutalité fait peur aux autres. On voit bien que l’entourage de Vladimir Poutine tremble de peur devant lui, comme celui de Staline naguère. On n’ose pas lui dire la vérité sur les opérations militaires, de peur d’un châtiment. Le peuple russe aussi se retient d’élever la voix contre lui pour la même raison. Et nous aussi nous avons peur de lui, qui le sait bien et en profite. C’est une cascade de peurs, partie de celui qui l’a lui-même initiée, pour compenser celle qu’il a éprouvée au fond de lui-même, quand le monde auquel il croyait s’est effondré.
Je viens de citer Staline. Il me semble que l’Histoire ici se répète. Voyez avec quelle agressivité Poutine traite maintenant de « traîtres » ceux de son entourage qui s’opposent à lui. Il veut en purifier son pays. Les purges sont donc en passe de revenir. Combien de temps cela perdurera-t-il ? Il est difficile d’être optimiste. Staline est mort dans son lit...
De tout cela il faut tirer une leçon générale. La peur, comme disait Fassbinder, dévore l’âme. Dans nos vies, c’est donc de la peur elle-même qu’il faut avoir peur, et non d’autre chose.
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