Elle doit à mon avis être proportionnée à l’importance de la faute. Ce n’est pas le cas dans ce qui est arrivé à l’écrivain transalpin Paolo Nori, qui devait donner un cours sur le célèbre auteur russe Dostoïevski. La direction de l’université Milano Bicocca lui a demandé de reporter ses leçons au vu de l’actualité, pour « éviter toute forme de polémique dans ce moment de forte tension ». Il a dénoncé un acte de censure. (Source : courrierinternational.com, 03/03/2022)
« En Italie, aujourd’hui, être un Russe est considéré une faute, et apparemment, même être un Russe décédé, qui de plus a été condamné à mort en 1849 pour avoir lu une chose interdite », a-t-il déclaré. En effet on peut voir cette censure comme une sanction qui vise, par-delà l’écrivain, le peuple russe en général, pour ainsi dire la « russéité ». C’est alors une punition très humiliante, qui confond le peuple et son chef. Le premier ne peut répondre des crimes du second. S’il ne se révolte pas contre lui, c’est simplement parce qu’il est endoctriné par une propagande effrénée. S’il n’y avait pas cette dernière, sans doute le ferait-il.
La mesure même sera contreproductive, puisque mettre ce peuple au ban de tous les peuples ne peut que le faire se redresser pour défendre sa fierté. Il n’est jamais bon d’humilier quelqu’un. Souvenons-nous que le Traité de Versailles qui a terminé la Grande Guerre portait déjà en germe, par les dispositions très dures qu’il contenait, la future Allemagne nazie.
Il faut au contraire faire confiance à ce que François Mitterrand appelait « les forces de l’esprit ». On peut communier par la Littérature, à quelque peuple qu’on appartienne : elle n’a pas de frontières, elle atteint à cet universel si abandonné aujourd’hui, en un temps où chacun s’isole agressivement dans sa particularité, et au nom de celle-ci pratique volontiers la cancel culture (culture de l’élimination et de la censure). Dostoïevski est notre frère en humanité, comme le peuple dont il est issu. Il faut lui redonner sa chance de fédérer les hommes autour d’un commun humanisme. Les questions dont il traite dans son œuvre sont aussi les nôtres, et en s’ouvrant à autrui on se connaît mieux soi-même. Pour paraphraser Térence, nous sommes tous des hommes et rien d’humain ne nous est étranger.
La paix est à ce prix, et il faut récuser les mesures frileuses et pusillanimes comme celle qu’a prise l’Université de Milan.
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