Il ne doit pas seulement être pris dans son sens habituel, littéral, ou physique. Il peut aussi être symbolique, et impliquer une égale gravité. Deux exemples actuels le montrent.
En Ukraine, les troupes de Vladimir Poutine ciblent non seulement des femmes, des hommes et des enfants, mais aussi un patrimoine, une culture, en bombardant systématiquement les édifices religieux, les théâtres, les statues et les musées. (Source : nouvelobs.com, 29/03/2022)
Vladimir Poutine ambitionne ainsi de dénier toute existence au peuple ukrainien dans son ensemble, en anéantissant sa mémoire. Or c’est cette dernière qui fait une personne. Si elle n’a plus de passé, ou si elle ne peut plus y avoir accès ou se le remémorer au moyen de ses symboles habituels et spécifiques, alors c’est comme si elle n’existait plus. Jean Anouilh a évoqué la situation tragique de l’amnésique dans Le Voyageur sans bagage. Un tel homme déshérité ne peut plus qu’errer dans le monde en apesanteur, dépossédé de son nom même. Et on connaît aussi le tragique des révolutions ainsi que des régimes totalitaires qui ont voulu du passé faire table rase. Elles ont abouti à la pulvérisation totale des êtres humains dans leur substance intime, exposés à toutes nouvelles catastrophes par effacement de leur mémoire. « Ceux qui ne se souviennent pas du passé, disait Santayana, sont condamnés à le revivre. »
Le second exemple est celui des talibans afghans, qui non contents de vouloir maintenir les femmes à l’intérieur de leurs maisons, viennent de leur imposer le port du voile intégral, ou burqa, quand elles ont la nécessité d’aller dans l’espace public. Si elles y contreviennent, leur tuteur (parent mâle, ou mari) sera puni. Là aussi il s’agit d’effacer des êtres de la vue, donc de les tuer symboliquement. Leur vision dans ce qu’en montrent les médias me donne le même effroi que les ruines ukrainiennes. On n’en voit que des fantômes errants, noirs ou bleus, et c’est comme si elles étaient mortes.
Les talibans ont même préféré faire passer leurs convictions religieuses avant le souci de recevoir l’aide occidentale, qui était subordonnée à un respect minimal des droits humains. Bref peut leur importe que leurs enfants meurent de faim, pourvu que la charia soit respectée.
Il y a sans doute une double provenance à tous ces meurtres. Tout le mal dans le monde est fait par les convaincus et les ambitieux, de sorte qu’un sceptique sans ambition est peut-être le seul être innocent sur la terre.
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