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ai vu le film The Artist. Certes c’est un mélodrame, mais je l’ai bien aimé. Il y a un noir et blanc somptueux, épuré, abstrait, à côté duquel toute image en couleurs est d’une extrême banalité. Tout photographe, tout cinéaste qui choisit le noir et blanc a l’élégance du smoking.
C’est précisément ce que ne voient pas nos contemporains, qui, paraît-il, n’aiment pas les films passant à la télévision en début de soirée, s’ils ne sont pas en couleurs ! D’où la dégradante colorisation des films initialement tournés en noir et blanc. Imagine-t-on Garbo par exemple, si photogénique dans un noir et blanc savamment éclairé, ainsi colorisée ? Cela révulse d’avance tout cinéphile.
Mais ce film, dont on parle maintenant beaucoup et qui vient de remporter trois Golden Globes, m’est l’occasion d’une nouvelle remarque.
Il paraît qu’à Liverpool quelques spectateurs britanniques sont ressortis mécontents de la projection. Selon le journal The Hollywood Reporter, la plus grande chaîne de cinéma du pays, Odeon and UCI Cinemas, a dû les rembourser. Le motif ? Ce n’était pas cette fois le noir et blanc, mais le fait que le film est muet. Les spectateurs, dont l’inculture n’a d’égale que la stupidité, ont apparemment identifié cinéma parlant et cinéma tout court, et se sont sentis floués de ne pas avoir entendu une seule parole dans la bande-son. Il y avait, selon eux, tromperie sur la marchandise.
De cela je tire deux remarques : apparemment certains vont au cinéma machinalement, sans savoir du tout ce qu’ils vont y voir – et peut-être simplement, comme aux États-unis, pour manger du pop corn.
Or une œuvre ne nous parle que si elle est préalablement l’objet d’une attente, comme le dit excellemment Valéry dans une inscription du Palais de Chaillot :
« Il dépend de celui qui passe
Que je sois tombe ou trésor
Que je parle ou que je me taise
Cela ne tient qu’à toi :
Ami, n’entre pas sans désir. »
Et secondement pour beaucoup le cinéma dit muet (mais combien expressif pourtant dans son langage !) n’est pas du cinéma.
Que faire alors pour contrer cette double stupidité ? Faut-il mettre un écriteau d’avertissement ? Et engagés sur cette voie, où s’arrêtera-t-on ? Peut-être certains spectateurs de théâtre chez nous demanderont-ils eux aussi à être remboursés, s’ils assistent à une pièce en alexandrins, auxquels ils n’auront rien compris, au motif qu’il leur eût fallu un langage proche du leur ?
Il y a, je pense, un seul domaine qui puisse nous donner une parfaite idée de l’infini : la bêtise.
Article paru dans Golias Hebdo, 9 février 2012
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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