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n en distingue ordinairement deux types, que l’on oppose : l’amour de désir, en grec éros, et l’amour de don, en grec agapè, mot qui a donné le français agape, repas fraternel. C’est lui seul qui est employé pour dire l’amour dans le texte néotestamentaire. L’équivalent latin d’éros est amor, et d’agapè, caritas, qu’utilise Jérôme dans sa Vulgate.
Caritas a donné charité, mais ce mot a pris maintenant des connotations condescendantes, et on traduit désormais l’agapè chrétienne par amour tout simplement, par exemple dans l’hymne célèbre que Paul lui a consacrée, au chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens.
Théoriquement, ces deux visages de l’amour se distinguent bien l’un de l’autre. Le premier, éros, cultive le désir pour lui-même, et s’y complaît : il recherche un certain état, celui d’être amoureux. Le second, agapè, veut le bien de l’autre : c’est un amour actif, qui se voue et dévoue à l’autre. De ce point de vue, quand on est amoureux, on n’aime pas vraiment, on aime seulement aimer. Aimer au contraire c’est aider.
Voilà le catéchisme que j’ai appris, dans ma lecture des ouvrages de Denis de Rougemont, comme L’Amour et l’Occident, ainsi que des thèses d’Anders Nygren, dans son livre essentiel sur Éros et Agapè.
Cependant, j’ai toujours aimé revisiter les catéchismes. Ainsi ai-je remarqué qu’en grec moderne aimer se dit tout simplement agapân, le mot incluant toute sorte d’amour, éros compris. Et d’autre part les Pères de l’Église disent que Dieu a pour les hommes un amour fou, manikos eros, exactement comme dans le recueil éponyme de Breton.
Aussi ai-je entrepris une enquête sur cette opposition, en la confrontant à mon expérience personnelle de l’amour. Et il m’a semblé que les deux types d’amour non seulement ne s’opposent pas radicalement, mais qu’ils peuvent coexister dans une seule vie : passion et compassion ne sont pas des ennemies. Et même au sein même de la seconde l’absence constatée de la première, du fait de l’écoulement inexorable du temps, peut être très mal vécue.
Simplement il y a des dangers symétriques qui guettent éros et agapè : la dangereuse méconnaissance de l’autre, simple objet de projection, dans le premier cas – et le très contestable sacrifice de soi-même, souvent renvoyant à un dolorisme d’essence religieuse, dans le second.
Et enfin l’idée m’est venue d’explorer des voies que l’on pourrait suivre pour préserver l’amour de son grand ennemi : le temps qui passe.[1]
Article paru dans Golias Hebdo, 13 mars 2014
[1] On trouvera toutes les étapes de cette enquête dans mon livre Savoir aimer – Entre rêve et réalité, éd. BoD, 2020.
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Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :
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