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n peut être anticlérical, et aimer fréquenter les prêtres, rechercher sinon leur amitié, au moins leur conversation.
C’est précisément mon cas, et en chaque ville que j’ai habitée j’ai toujours essayé de rencontrer le chargé de paroisse de mon quartier.
Aussi me suis-je reconnu en lisant le récent article de Télérama consacré au trentième anniversaire de la mort de Georges Brassens. On y lit que ce « légendaire bouffeur de curés » en comptait plusieurs dans son entourage. Et cela ne m’a pas du tout étonné.
Comment expliquer ce paradoxe ? Cela est aisé. Qui pourrions-nous vouloir rencontrer, lorsque nous sommes jusqu’à la nausée écœurés par le matérialisme de notre société ? Face à ce « règne inexpiable de l’argent » dont parlait Péguy, et dont il n’y a aucun précédent dans l’histoire de notre monde, qui voir, avec qui parler, qui n’en soit pas a priori prisonnier, et qui soit une occasion de nous ouvrir à ce à quoi notre âme altérée aspire : quelque chose d’autre au moins que tout cela, et qu’il faut bien appeler Transcendance ? Qui nous change des vedettes du show-biz, du foot, de la finance, de l’arrivisme de nos professionnels de la politique ?
En principe, à part peut-être certains penseurs ou artistes (dont le nombre n’est pas bien grand, car beaucoup sont pris par le culte de leur ego, quand ce n’est pas par le maelstrom de l’argent), seuls les hommes de Dieu peuvent nous faire entrevoir d’autres horizons que ce royaume de la Mort.
Mais seulement quand nous les sentons habités par la même recherche que la nôtre : bref, nos frères en humanité. Mais viennent-ils à nous débiter tel catéchisme ou tel credo, telle injonction institutionnelle, qu’aussitôt le rapprochement se rompt, nous voyons devant nous le pasteur et non plus l’homme, et apparaît inévitablement l’anticléricalisme. C’est que nous n’avons plus devant nous un homme, mais comme disait Drewermann un « fonctionnaire de Dieu ».[1]
C’est pourquoi, contre ce type de fossilisation, le « mécréant » Brassens a toujours défendu l’humain. Mais déjà Hugo, ce grand croyant, disait que Dieu sortait de l’église dès lors qu’un prêtre y pénétrait. Quant à moi, j’en pourrais certes dire autant à l’occasion. Mais tout de même, je me contenterai d’espérer rencontrer un homme partageant la même soif que moi, même si c’est pour un Dieu auquel personnellement je ne crois pas.
Article paru dans Golias Hebdo, 31 mars 2011
[1] Sur la différence en une même personne entre le pasteur et l’homme, voyez le chapitre « Schizophrénies religieuses », dans mon livre Peur de son ombre – La Lumière est en nous, éd. BoD, 2017.
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Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :
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