Voici un article que j'ai publié dans Golias Hebdo en 2008, année de crise déjà, et qui est tout aussi bien actuel aujourd'hui, quand on parle de décroissance et de sobriété :
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ous y sommes entrés depuis quelque temps, qu’elle soit financière, économique, et peut-être bientôt sociale.
On la redoute bien sûr, on cherche tous les moyens de la conjurer, mais s’est-on demandé ce qu’elle signifie ?
Le mot crise vient du mot grec krisis, qui veut dire : jugement. C’est le mot que le Nouveau Testament emploie pour signifier le Jugement dernier. Je n’ai qu’un goût médiocre pour cette perspective eschatologique. Je m’en tiendrai donc à l’étymologie seule : dans cette crise, n’est-ce pas toute notre civilisation qui se trouve jugée ? Et de quoi donc est-elle coupable ?
Elle a sans doute sacrifié à l’avidité quantitative, elle a oublié la parole terrible que Dieu, via l’évangéliste, adresse à l’homme qui a voulu amasser, thésauriser, ne pensant pas que le soir même il allait mourir : « Insensé, cette nuit même on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? » (Luc 12/20) Combien de précautions inutiles, si on y songe, dans toutes nos vies ! À quoi sert de devenir le plus riche du cimetière ? Un linceul n’a pas de poches...
De ce jugement il faudrait tirer une leçon. Il devrait être l’occasion de faire retour sur soi et de se découvrir, pour repartir sur d’autres bases. L’idéogramme chinois qui signifie crise signifie à la fois danger, et opportunité, occasion à saisir.
Sans doute faut-il relire ici certains de nos textes, et leur appel à une vie plus sobre, plus frugale. Prendre peut-être exemple sur ces oiseaux du ciel et ces lys des champs dont L’Évangile vante l’insouciance (Matthieu 6/24-34). Alors la menace du Jugement dernier disparaît : « En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. » (Jean 5/24)
La vie éternelle ne nous attend donc pas après la mort, comme beaucoup le croient. – La question en fait n’est pas qu’il y ait une vie après la mort, mais qu’il y en ait une avant, je veux dire, une vraie vie, quelque chose qui mérite bien d’être appelé vie. Cet idéal de vie vivifiée, contre la mort spirituelle où nous mènent à la fois matérialisme, productivisme et consumérisme, est tout à fait à notre portée hic et nunc, ici et maintenant.
Alors nous quitterons ce monde sans âme, nous cesserons, selon le mot de Juvénal (Satire VIII), de perdre en faveur de la vie les raisons de vivre – Et propter vitam videndi perdere causas.
Mais pour cela il faut réagir dès aujourd’hui, et éventuellement lutter contre la tentation de revenir en arrière. Pour reprendre le mot de Brecht : « Si on se bat, on peut perdre ; mais si on ne se bat pas, on a déjà perdu ».
[v. Jugement]
Article paru dans Golias Hebdo, 25 décembre 2008
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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