J’ai vu le 6 octobre, sur la 2, au journal de 20 H, un reportage sur la reconquête ukrainienne de villages occupés par les soldats russes depuis le début du conflit. On voyait très nettement des cadavres de ces derniers éparpillés çà et là, que manifestement leurs camarades avaient abandonnés dans leur fuite. Un soldat ukrainien a commenté : « Ils n’ont même pas emporté leurs morts ! » Et encore, un reportage diffusé la veille a montré que les Russes en fuite laissaient sur place même leurs blessés.
Pour soigner ces derniers, peut-être les Russes ont-ils compté sur les Ukrainiens. Mais le fait de ne pas s’occuper de ses morts est un retour à la plus extrême barbarie. L’homme se définit spécifiquement comme le seul être vivant qui donne une sépulture à ses morts, et cela depuis toujours, ainsi que le soulignent les anthropologues. Le pire des outrages qu’on puisse faire à un mort est de le priver de sépulture, ainsi qu’on le voit par exemple dans l’Antigone de Sophocle : l’héroïne veut enterrer son frère, même désobéissant au pouvoir en place, pour éviter à son âme d’errer au hasard, privée de repos. En elle les lois de la conscience sont senties comme sacrées, supérieures à celles de l’État.
Les soldats russes morts au combat et laissés sur place en terre ennemie sont, nous dit-on, en grand nombre. On imagine la détresse de leurs familles, de ne pas savoir ce qu’il est advenu d’eux. Évidemment privées de leurs corps elles ne peuvent pas faire leur deuil.
Maintenant je me pose la question suivante : cette barbarie est-elle due à la guerre elle-même, en l’occurrence à la hâte avec laquelle les soldats russes se sont repliés ? Ou bien est-elle potentiellement liée à l’âme russe elle-même ? « Il faut écorcher un Moscovite pour lui donner du sentiment », dit Montesquieu dans L’Esprit des lois. En tout cas il me semble que la notion d’individu, de son unicité non remplaçable, et des droits imprescriptibles qui lui sont attachés, est étrangère à l’âme russe. Il suffit d’écouter les cantiques orthodoxes, chantés à l’unisson, qui s’adressent à la foule, non à l’individu. Ou encore, de voir que dans le premier carnet de L’Idiot de Dostoïevski l’assassin n’est pas Rogogine, mais Muychkine : comme s’ils étaient tous les deux interchangeables. Et de ce point de vue la remarque moralisatrice du soldat ukrainien nous éclairerait sur le désir de ce pays de rejoindre l’Occident.
Voir aussi :
Brutalité (suite) - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
Celle de l'armée russe en Ukraine dépasse toute mesure. Aucun respect n'est manifesté pour les civils, qui sont tués au même titre que des combattants. On parle justement de crimes de guerre, ...
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