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ne future ministre régionale allemande, qui sera la première femme d’origine turque à un tel poste, a provoqué un tollé dans son propre parti CDU (conservateur), en prônant le retrait des crucifix des écoles publiques.
« Les symboles chrétiens n’ont pas leur place dans les écoles publiques », a-t-elle déclaré. « L’école doit être un lieu neutre », a-t-elle ajouté, précisant que le voile n’avait « rien à faire » non plus dans une salle de classe.
De tels propos me semblent frappés au coin du bon sens : la laïcité ne se partage pas, et on n’y peut faire deux poids deux mesures. Ils ont cependant suscité des réactions très hostiles de la part de membres du même parti. Ainsi le ministre-président de Basse-Saxe a-t-il déclaré : « Les symboles religieux, en particulier la croix, sont considérés par l’exécutif régional comme le signe d’une éducation empreinte de tolérance, sur fond de valeurs chrétiennes. »
Je crois rêver ici : la croix est-elle un exemple de tolérance ? C’est en son nom et sous son égide que se sont faites les Croisades, qui n’en sont pas un modèle bien probant.
Et d’autre part cette croix résume-t-elle toutes les « valeurs chrétiennes » ? Distinguons-la d’abord du crucifix, où figure l’effigie du Crucifié : celui-ci est choisi par les catholiques, et celle-là, comme seul symbole du poteau sacrificiel, par certains protestants. Mais pas par tous : les réformés en effet lui préfèrent le Livre, de façon à mon avis bien plus intéressante. Un enseignement me semble toujours préférable à l’image d’un supplice. La réflexion en effet y gagne, même si l’émotion y est moindre. On peut en effet préférer le Christ enseignant qui nous sauve, au Christ qui nous sauve en saignant...[1]
Ensuite, en fait de « valeurs chrétiennes », il faut les mettre en perspective, et il n’y a pas que les choix dominants. Cette valorisation paradoxale de la croix nous vient de Paul, dans sa première épître aux Corinthiens : « Car la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu. » (1/18)
Mais ce n’est pas parce qu’elle constitue bien en effet pour la majorité le christianisme, que celui-ci se résume à celle-là. Il peut très bien exister un christianisme sans le supplice rédempteur de la croix, et sans résurrection post mortem de Jésus. Cette position est celle des anciens Gnostiques, des Pétrobrusiens médiévaux, des Sociniens du 16e siècle, etc.
Ainsi, ceux qui se cramponnent si agressivement à la croix comme seul symbole chrétien possible feraient mieux d’étudier la pensée de tous ceux qui, dans l’histoire, l’ont rejetée, pour des raisons qui ne sont pas du tout méprisables.
Article paru dans Golias Hebdo, 6 mai 2010
[1] ... comme je l’ai dit dans mon ouvrage Les Mystères du Credo – Un christianisme pluriel, éd. BoD, 2018.
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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