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n a tout intérêt à y croire, même si bien sûr c’est de façon symbolique. Nier son existence est se faire une image angélique de l’homme, qui ne résiste pas à l’expérience.
Il signifie ce qui nous embrouille, nous divise, comme le dit son étymologie en grec : diaballein, diviser. Par exemple le fait de tenir à quelqu’un par le corps, et par l’âme de le mépriser. Les exemples sont innombrables, en sorte que le bon critérium pour juger de la valeur ou de la profitabilité d’un sentiment pour nous est de savoir s’il nous unifie, ou non. Dans ce dernier cas, celui de l’écartèlement ou de la division, la situation est bien diabolique. Je l'ai développée dans mon livre Savoir aimer - Entre rêve et réalité (lien).
Le Diable montre aussi la vanité de toutes les morales intellectualistes. Elles nous disent que nul n’est méchant volontairement, ou qu’il suffit de bien juger pour bien faire. Mais cela est faux. On peut voir le bien et faire le mal, comme le dit saint Paul, et comme le montrent la Phèdre de Sénèque et celle de Racine. Voici d’ailleurs comment ce dernier traduit saint Paul :
« Je veux et n’accomplis jamais,
Je veux, mais ô misère extrême,
Je ne fais pas le bien que j’aime
Et je fais le mal que je hais. »
Et non seulement le mal n’est pas une paralysie de la volonté, mais il peut même exister en l’homme une volonté délibérément mauvaise. « Je me fais de sa peine une image charmante », dit sadiquement Néron dans Britannicus, du même Racine, qui n’est pas le doux et tendre poète que l’école nous enseigne. Il a su faire, et c’est fort bien, la part du Diable.
Méfions-nous donc de toutes ces impostures langagières qui nous le font euphémiser : le Mal, le Malin, ne se réduisent pas au « négatif ». Nous sommes à une « époque Carrefour », où nous voulons tout positiver. Mais d’être oublié, d’être au chômage, d’être devenu un pauvre diable, il n’a pas disparu du fond de nous-mêmes.
Innombrables sont ses visages. Parfois il se cache dans les plus petites choses : Diabolus in infimis latet. Parfois il est une fêlure dans la musique de nos vies : Diabolus in musica…
Les Lumières chez nous ont voulu le détruire. « Tous les hommes deviennent frères », dit à la fin de la dernière symphonie de Beethoven l’Hymne à la joie, qui est aujourd’hui l’hymne européen. Fort bien. Mais que dire de cet officier nazi qui a demandé à une mère de choisir entre ses deux fils lequel il devait fusiller ? C’est le sujet du Choix de Sophie, de William Styron.
Les Lumières ont bel et bien sombré dans l’horreur des camps. Comme disait C-G. Jung : « À force de nier le Diable, nous avons ouvert toutes grandes les portes de l’Enfer ». Au fond, il n’y avait pas tant de barbarie aux temps mêmes où on y croyait. Se vérifie ici le profond mot de Baudelaire : « La plus grande ruse du Diable est de nous faire croire qu’il n’existe pas. »
Article paru dans Golias Hebdo,10 juin 2010
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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