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es catholiques viennent de fêter la fête de la Sainte Famille, fixée au dimanche qui suit Noël. Il s’agit bien entendu de la famille de Jésus, qu’on nous invite à célébrer.
Pourtant, en ouvrant mon Évangile, j’y remarque le passage suivant : « Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, il ne peut être mon disciple. » (Luc 14/26) Quel décalage, alors, entre ce refus radical de la famille biologique, et cette fête qu’on nous propose !
Ce texte me poursuit toujours, d’autant que le verbe haïr (en grec, miseîn) y figure, et qu’il ne sert à rien de vouloir l’atténuer.
De ma perplexité, cependant, m’a tiré la lecture de l’évangile selon Thomas. On y lit en effet, au logion 101 : « Celui qui ne récuse son père et sa mère comme moi ne pourra devenir mon disciple, et celui qui n’aime son Père et sa Mère comme moi ne pourra devenir mon disciple. Car ma mère m’a engendré, mais ma véritable Mère m’a donné la vie. »
Enfin un texte magnifiquement lumineux ! Pourquoi faut-il à la fois récuser père et mère, et les aimer ? C’est que, dans le premier cas, il s’agit des parents réels, dont nous avons tôt fait de voir, par la proximité même où nous sommes d’eux, les imperfections, les faiblesses. Et dans le second cas, il s’agit des parents idéaux, mythiques, archétypaux.
Ce sont des projections admiratives que nous faisons, enfants, sur nos parents, mais dont le souvenir peut nous accompagner toute notre vie, pour conjurer la déception que fatalement ils nous donnent dans le monde réel. Peut-être au fond nos parents ainsi idéalisés, projetés et attendus par notre psyché ne naissent-ils pleinement en nous que lorsqu’ils meurent..
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Parfois ce sont le Parrain et la Marraine qui jouent dans la réalité ce rôle de Père divin et Mère divine, en anglais Godfather et Godmother. Pour les enfants qui ont la chance d’en avoir, ils peuvent correspondre à ce profond besoin psychologique de sécurisation, en tirant leur prestige de leur éloignement même. En dehors même de toute signification religieuse, je dirai que l’usage de donner ainsi des garants tutélaires à l’enfant qu’on baptise est bénéfique : sa vérité pour moi est son utilité.
Si donc Père et Mère idéaux sont les caryatides qui soutiennent l’enfant balcon, ils peuvent rester pour nous adultes des viatiques vivifiants : il est bien dommage que Luc n’en ait pas fait mention, et nous laisse sur un mot abrupt et tranchant qui peut désespérer.
Aussi, même si selon Jules Renard tout le monde dans la réalité n’a pas la chance d’être orphelin, tout le monde peut garder et chérir au fond de soi le souvenir de ses parents idéaux, qui constituent la vraie famille – spirituelle.
Article paru dans Golias Hebdo, 15 janvier 2009
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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