Un ancien article paru dans Golias Hebdo :
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e plus important parti d’opposition en France s’agite beaucoup sur la question d’organiser en son sein des primaires afin de désigner son candidat pour les prochaines consultations électorales. Bref, le message nous dit-on doit s’incarner en une personne.
On ne réfléchit pas que le premier pourra bientôt disparaître sous la seconde, et celle-ci nous dispenser de celui-là. On veut certes s’opposer au pouvoir en place, qui n’est que personnalisation : mais on se modèle totalement sur son exemple. On sait assez que la personnalisation amène à la peopolisation : la starification de la politique génère la course à la popularité, et la soumission à ce qu’il y a de plus éphémère, la cote d’amour. Quand on s’obnubile sur la personne, aucune place n’est plus donnée aux programmes, aux visions à long terme. Le baromètre des sondages n’est qu’à très courte vue.
Ce que je viens de dire de l’incarnation soi-disant nécessaire en politique vaut aussi dans le domaine religieux. On vante toujours la novation chrétienne d’avoir fait de l’incarnation du divin en la personne de Jésus un dogme essentiel, qui le sépare du judaïsme et de l’islam. Mais a-t-on raison de le faire ?
Il n’est pas exagéré de dire que Jésus est devenu un Dieu malgré lui. Toujours il insiste dans les textes sur la distance entre sa propre personne et cet horizon, ce projet, cet idéal programmatique commun à bien des hommes, qu’ils appellent Dieu.
À qui l’appelle « Bon maître », il répond : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. » (Marc 10/18 et Luc 18/19) En bon prophète, il s’est situé au-dessous du message qu’il portait, et qui était pour lui l’essentiel. La dévotion à sa propre personne l’insupportait : « Pourquoi m’appelez-vous ‘Seigneur, Seigneur !’ et ne faites-vous pas ce que je dis ? » (Luc 6/46)
Pour autant que nous puissions le savoir, c’était simplement un orthopraxe, un rabbin libéral à la façon de Hillel, et sans doute marginal, un exégète de la voix du Père, comme le dit, dans l’évangile selon Jean, le dernier mot du Prologue – et, pour nous, un compagnon de route, un instituteur de la Parole, et non pas un candidat à une quelconque investiture divine, liée à un charisme sans pareil. Malheureusement cette position n’a pas tenu dans le temps, et la jésulâtrie l’a bien emporté.
Les candidats à l’investiture politique feraient bien d’en prendre exemple. Ce qui doit compter avant tout est le contenu du programme, ou du message, bref le fond de l’apport, et non leur « incarnation », qui risque toujours de les faire oublier.
Article paru dans Golias Hebdo, 10 septembre 2009
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