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n nous dit que le Vatican veut se rapprocher des milieux intégristes. Que faut-il en penser ?
Bien sûr, je ne crois pas à l’opportunité de ce rapprochement, et n’ai aucune sympathie pour ces milieux. Cependant, je constate que le texte des évangiles comporte bien, lui, des passages prêtés à Jésus autorisant l’intégrisme, au sens d’exclusivisme, de totalitarisme de la pensée.
Par exemple : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse. » (Matthieu 12/30 ; Luc 11/23) Ou encore : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14/6) À cette phrase péremptoire et comminatoire on peut préférer celle du préfet romain Symmaque, beaucoup plus subtile et intelligente : « On ne peut parvenir à un si grand mystère par une seule voie » (Uno itinere non potest perveniri ad tam grande secretum).
Les intégristes pourraient aussi se réclamer de ce passage : « Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche ; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent. » (Jean 15/5-6) La fin fait frémir. On peut voir dans ce « et ils brûlent » toute l’extirpation à venir, par le feu, des hérésies de toute sorte, leur écobuage.
Je ne sais si Jésus a prononcé réellement de telles paroles. Ce qui est sûr en tout cas c’est qu’il y a là toute une strate rédactionnelle faite de menaces et d’imprécations, signe d’une pensée exclusiviste.
Parfois cela va jusqu’au fanatisme, qui est la défense du Temple (latin : fanum). Ainsi lit-on, à propos de Jésus qui en chasse les marchands : « Le zèle de ta maison me dévore » (Jean 2/17 – repris du Psaume 69, v.9). C’est un souci jaloux (du latin populaire zelosus, calquant le grec zèlos, signifiant : animé d’un zèle), pour un Dieu lui-même jaloux, exclusif. Certains ont vu alors dans Jésus un zélote, un partisan de la résistance armée face au joug romain.
... Bien sûr, à côté de ces passages violents et dangereux, il y en a bien d’autres où Jésus parle d’une voix très douce et compatissante. On peut évidemment les préférer, et peut-être regretter que les précédents n’aient pas été supprimés du Canon, comme l’avait fait par exemple Thomas Jefferson dans son édition sélective de la Bible (1820), où seuls les passages humainement et rationnellement admissibles avaient été retenus [lien].
Article paru dans Golias Hebdo, 22 septembre 2011
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Sur le polymorphisme de la Bible, dont celui du personnage de Jésus, on peut voir mon petit roman par lettres Fictions III - Polyphonies bibliques, qui peut servir à cet égard d'initiation :
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