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omme beaucoup, je pense, j’ai été dernièrement me recueillir sur la tombe de mes proches, à l’occasion de la Fête des Morts.
Ainsi, me promenant dans les allées du cimetière, j’ai vu un très grand nombre d’inscriptions sur plaques de marbre portant un : « Priez pour lui », souvent abrévié en acronyme PPL.
Y réfléchissant, je trouve la formule bien singulière. Si je dois prier pour un mort, cela implique que je dois, par ma prière, lui venir en aide, intercéder pour lui, devenir son avocat. Et à quelle occasion ? Évidemment lors du jugement qu’il va affronter. Me voici donc ramené au dogme du Jugement dernier, auquel ces inscriptions me somment de croire, en impliquant forcément son existence.
Je sais bien que c’est un article de foi du Credo. Lors de sa nouvelle venue ou parousie, le Christ viendra juger vivants et morts. Des siècles de peur ont ainsi accompagné le croyant. Il suffit de voir le Dies irae :
« Que dirai-je, malheureux que je suis / De qui invoquerai-je l’aide / Quand le juste même sera à peine en sécurité ? »
Je sais bien aussi que toute une strate rédactionnelle eschatologique et effrayante de ce type caractérise les évangiles mêmes. Mais tout de même, ne peut-on concevoir un scénario de vie dont tout jugement soit absent, ou l’on se justifierait par exemple par la seule écoute attentive d’une parole ?
On le trouve dans l’évangile de Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. » (5/24)
La Gnose n’a pas dit autre chose : le « salut » et la résurrection, au sens spirituel, ou de résilience dans cette vie-ci, peuvent être déjà connus hic et nunc, ici et maintenant, si l’on écoute et comprend bien la Parole.
Le dogme du Jugement dernier manque de mansuétude. Beaucoup de pécheurs sont déjà punis dès ici-bas par leurs péchés, qui ne sont que des erreurs de conduite, dont ils subissent les conséquences souvent très dommageables : faut-il qu’ils le soient encore plus tard pour leurs péchés ? Ce serait une double peine, qui révolte la raison.
C’est pourquoi nous ne devons pas, il me semble, prier pour les morts, dont certains d’ailleurs, comme les victimes d’accidents, de meurtres, d’attentats, etc., sont bien innocents de toute faute. Il nous suffira de penser à eux.
Article paru dans Golias Hebdo, 21 novembre 2013
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Sur les strates rédactionnelles bibliques, on peut voir mon livre
Fictions III - Polyphonies bibliques :
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