Un ancien article que j'ai publié dans Golias Hebdo :
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l paraît que le pape actuel aurait accepté la béatification de Jean-Paul II, pour avoir provoqué la guérison d’une religieuse de sa maladie de Parkinson. On irait vers la canonisation du défunt pape, si d’autres miracles étaient avérés. Réfléchissons donc à la notion de miracle, et à la façon de l’envisager.
Le Nouveau Testament a trois mots pour désigner les miracles : dunameis (puissances), terata (prodiges) et sèmeia (signes). Les deux premiers peuvent effectivement donner d’eux une vision littérale, celle d’une transgression des lois naturelles. Seul le troisième, le plus intéressant à mes yeux, peut en donner une vision symbolique. Un signe désigne autre chose que lui-même, ce dont précisément il est signe, ce qu’il signifie : il invite donc à la prise de conscience, à la réflexion.
Jésus a refusé les miracles au sens des deux premiers mots, dans l’épisode de la Tentation au désert, relaté en détail en Matthieu et en Luc. Ce refus de la thaumaturgie (transformer les pierres en pains, obtenir le pouvoir sur les corps par la contrainte physique, et sur les âmes par la magie du vol), laisse aux hommes la liberté. Malheureusement les hommes peuvent lui préférer l’assujettissement, comme il se voit dans la Légende du Grand Inquisiteur, dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski.
Le vrai miracle, à hauteur d’homme, est le signe. Ainsi en est-il de la guérison de l’aveugle de Bethsaïda en Marc 8/23-25. Jésus s’y prend à deux fois pour opérer la guérison. Absurde de penser qu’il n’ait pas eu pour ce faire assez de force la première fois. L’épisode veut signifier que l’abandon de la cécité aux autres, fruit d’un repliement sur soi, doit se faire progressivement. D’abord on les voit flous, puis distinctement : enfin on s’ouvre à eux.[1]
Un miracle à rebours pour ainsi dire est l’épisode du figuier maudit pour ne pas porter de figues, alors que ce n’en était pas la saison (Marc 11/13-14). Littéralement, cela est absurde, et on pourrait penser que ce passage a été fâcheusement interpolé. Mais il signifie qu’il ne faut pas s’abriter derrière des règlements, administratifs ou autres, pour s’éviter de venir en aide aux autres : ce n’est pas le moment (la « saison »), revenez plus tard, etc.
Tout cela, l’interprétation par voie de symbole, est passionnant, si on accepte de réfléchir. Mais il est plus facile bien sûr de s’en dispenser, et sans doute l’esprit préfère-t-il être ébloui qu’éclairé.
Article paru dans Golias Hebdo, 27 janvier 2011
[1] On peut lire l’actualisation de ce passage que j’ai faite dans mon livre Fictions bibliques I - Libres lectures bibliques, éd. Bod, 2023. Cliquer sur : Le Misanthrope confondu.
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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