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e mot n’a pas bonne presse aujourd’hui, en une époque habituée à regarder avec euphorie vers l’avenir. On le confond souvent avec passéisme, esprit rétrograde, bloqué dans des regrets stériles, empêchant d’avancer sur le chemin de la vie. Pourtant je voudrais ici en faire l’éloge.
Le mot signifie en grec : maladie du retour. Le problème est de savoir à quoi on veut faire retour. S’il s’agit simplement de regretter le passé pour s’éviter de vivre le présent, c’est évidemment un désir vain et même dangereux de stagnation, celui-là même que condamne Jésus dans l’Évangile : « Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu. » (Luc 9/62). Il faut en effet « se souvenir de la femme de Lot » (ibid. 17/32) Elle fut changée en statue de sel, s’étant retournée pour voir Sodome en flammes.
De la même façon Orphée perdit Eurydice, s’étant retourné trop tôt pour la voir. Et Pirithoüs, ami de Thésée, ne put pas sortir des Enfers, pour s’y être attardé. C’est ce qu’on pourrait appeler le complexe du rétroviseur, où la régression empêche la progression.
Mais il y a deux régressions : l’une subie dans le rattachement infantile au passé, et l’autre choisie dans le retour volontaire à l’enfant spirituel que chacun porte en soi, tel celui que saint Christophe porte sur son épaule : cet enfant en réalité est lui-même, celui qu’il a été autrefois, qu’il a peut-être oublié et trahi dans sa vie d’adulte, mais qui peut le guider maintenant. Porteur, il est en fait porté par lui.
La vraie nostalgie n’est pas vain soupir sur ce qui n’est plus, mais fidélité à soi-même, à ce qu’on a de plus précieux : l’enfant éternel, spirituel, que chacun porte en soi.
On comprend alors que le même Jésus qui condamne la régression négative fasse l’éloge de l’état d’enfance : « Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point. » (Marc, 10/15)
Dans ce cas précis on ne retombe pas en enfance, on y remonte. Au fond, dans la vie le choix est simple : ou l’on se laisse aller à vau-l’eau, charrié par le courant, ou bien on remonte à sa Source première : bois mort, ou saumon vivant ? C’est de cette Origine salvatrice qu’il faut avoir, pour revivre vraiment après cette capitulation qu’est toute vie d’adulte, une authentique nostalgie.[1]
Article paru dans Golias Hebdo, 10 décembre 2009
[1] Voir des développements à cette chronique dans mon livre La Source intérieure :
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